En 2021, le déficit public s’élève à près de 7% du PIB, alors que la croissance enregistrée (par effet de rattrapage) n’a été « que » de 6,7%. Une question de taille se pose à nous : « l’Etat achète la croissance du pays par de la dette ? ». Fin 2021, les dépenses publiques représentaient près de 60% du PIB (en hausse de 5% sur un an). On se propose ici de réaliser une réponse chiffrée et détaillée pour comprendre d’une part la contribution réelle du déficit public à la croissance, et d’autre part d’étudier les risques d’une hausse des taux sur la stabilité de ce déficit.
Mesurer l’impact du déficit à court terme
En économie, le PIB peut s’énoncer de trois manières différentes. L’une d’entre elles consiste à additionner les sources de croissance comme suit :
PIB = consommation finale (ménages et secteur public) + investissement + Variation des stocks + acquisition nette d’objet de valeur (métaux…) + Exports – Imports.
D’après les données de l’INSEE en 2020 [source], les dépenses publiques de consommation finale (hors investissement) en 2020 s’élèvent à 577 milliards d’euros, ce à quoi l’on ajoute 86 milliards d’euros d’investissements publics. La contribution à la croissance du secteur public en France en 2020 était donc de 28,8% (dépenses publiques finales et d’investissement/PIB = 663,5/2303 = 0,29). Cela signifie autrement que la moitié des dépenses publiques totales (60% du PIB) contribuent réellement au PIB. En termes absolus, un euro sur deux dépensé par le secteur public n’a donc pas d’utilité directe au PIB. En termes de fluctuations, une hausse des dépenses publiques de 3€ conduit à une hausse du PIB de seulement 1€.
En considérant ce taux de 29% et une hausse de 5% des dépenses publiques en 2021 [source], la contribution des dépenses publiques de consommation finale et d’investissement à la croissance serait d’au moins 29,5%. En conséquence, nous finissons en 2021 avec un déficit public de 197 milliards d’euros en 2021, et une croissance de 154 milliards d’euros. On en déduit qu’environ 30% à 40% de la croissance de l’année 2021 est liée directement ou indirectement au déficit public.
La question de la dette publique
En économie, on distingue la charge de la dette (le montant des intérêts payés) et le service de la dette (le remboursement total effectué). Sur 2021, la charge de la dette s’approche de 40 milliards d’euros tandis que le service de la dette publique approche de 120 milliards d’euros. A ce jour, le taux moyen payé par l’Etat sur la dette publique (pondéré aux diverses émissions) est de 1,5% sur la dernière décennie. Le taux moyen d’emprunt pour la France en 2021 était ainsi nul, à 0%.
De plus, chaque année, l’Etat doit trouver l’équivalent de 300 milliards d’euros sur les marchés, pour financer d’une part le roulement des dettes publiques (118Mds€ en 2021), et d’autre part le déficit. Le service de la dette constitue autant de moyens dont l’Etat dispose en moins pour assurer sa propre viabilité. En réalité, le service de la dette est le « premier budget » des administrations, devant le budget de l’éducation nationale. Ainsi, d’ici à 2028, l’Etat devra rembourser (pour l’heure) l’équivalent de 1 000 milliards d’euros d’encours d’obligations assimilables au Trésor [AFT]. C’est-à-dire que plus d’un tiers de toute la dette publique française arrivera à échéance avant 7 ans.
Ainsi, une hausse des taux d’intérêts aurait un impact dont les effets seraient perceptibles à long terme (hausse de la charge de la dette sur des échéances longues et courtes). Dès lors, la hausse des taux deviendrait plus inquiétante dans deux configurations : (1) si la dette publique en volumes augmente trop fortement ou bien (2) si les émissions restent stables et se font à un taux moyen supérieur à 1,5%.
En bref.
Or nous arrivons aujourd’hui dans une situation où les besoins de financement ne cessent de croître dans le temps, ce qui nécessite des politiques monétaires très expansionnistes, ce qui conduit inévitablement à la hausse du niveau d’inflation structurelle à long terme. Dans cette configuration, la dette publique est soutenable à court terme (sur 10 à 15 ans), mais elle devient très moyennement soutenable au-delà de cet horizon. La diminution de la soutenabilité de la dette se traduit mécaniquement par la hausse de la dette en volumes pour pouvoir maintenir un niveau de solvabilité à peu près constant. Le risque, c’est évidemment celui de voir une rupture brutale de certains mécanismes monétaires qui permettent aujourd’hui à l’Etat d’emprunter en moyenne 6 milliards d’euros par semaine sur les marchés. Une rupture du mécanisme du roulement de la dette conduirait à un emballement systémique des taux d’intérêt.
En 2022, le déficit public devrait se situer autour de 143 milliards d’euros (5% du PIB), tandis que le service de la dette atteindra un niveau record de 150 milliards d’euros, bien au-delà du précédent record de 2020 à 136 milliards d’euros.