Qu’est-ce que le taux neutre ? Comment le mesurer ? Quel est son impact sur les marchés financiers ? Dans son dernier discours, le Président de la FED Jérôme Powell a laissé sous-entendre que le taux directeur était proche du « taux neutre ». Ce terme plutôt connu des économistes joue pourtant un rôle absolument déterminant sur la santé économique et financière des Etats-Unis. Les dernières données à notre disposition confirmeraient effectivement que la stratégie monétaire de la FED est désormais proche du « taux neutre ». En ce sens, comme nous allons le développer, il est probable que les prochaines hausses de taux soient moins grandes, ce que les marchés financiers ont favorablement accueilli.
Le taux neutre : c’est quoi ?
Le taux neutre est le taux d’intérêt pratiqué par la banque centrale, qui ne constitue ni un taux restrictif, ni un taux accommodant. En d’autres termes, le taux neutre est le taux qui permet de préserver l’emploi en parallèle à la stabilité des prix (en théorie).
Historiquement, il est important de souligner que l’équilibre entre le taux neutre et le taux à long terme est généralement annonciateur d’une récession. En d’autres termes, lorsque la banque centrale relève son taux directeur jusqu’au taux d’intérêt pratiqué par le marché, alors il y a une forte probabilité de récession. Cela traduit le fait qu’à la stabilisation du taux directeur, la banque centrale a généralement atteint le taux neutre qui permet de maintenir temporairement la stabilité relative des prix et de l’emploi.
Calcul du taux neutre
Le taux neutre dépend positivement de la production et du taux d’intérêt à long terme. Une forte croissance signifie que le marché de l’emploi peut maintenir sa stabilité malgré une hausse des taux d’intérêt qui ralentirait partiellement ou non l’économie. De même, la hausse des taux d’intérêt à long terme relève également le niveau du taux neutre. Un problème majeur apparaît cependant lorsque les taux d’intérêts sont significativement plus hauts que la production. La formule retenue par les économistes du taux neutre est exprimée par :
R = taux d’intérêt à long terme + (écart de production – écart de production précédent)/k
= I + (xP – nP)/k, où k est un coefficient.
En effet, une situation de recul de la production par exemple, combinée à une inflation significative, suggère un taux neutre qui maintiendrait l’inflation tout en évitant la dégradation du marché de l’emploi. L’objectif du taux neutre n’est alors pas optimal dans l’absolu. Dans tous les cas, on voit bien à travers cette formule l’intérêt actuel pour l’étude du taux neutre. En considérant un taux long du taux à 10 ans du gouvernement américain autour des 2,75 %, et en supposant une évolution nulle de la production, alors le taux neutre actuel serait entre 2,5 % et 3 %.
Discours de la FED et repli de l’inflation
Après l’annonce d’une hausse du taux directeur de 75 points de base fin juillet, Jérôme Powell a affirmé que le taux directeur était proche du taux neutre. Effectivement, le taux directeur actuel est de 2,50 %, contre seulement 1,75 % il y a déjà un mois début juillet 2022. En conséquence, la FED serait au plus à 50 points de base du taux neutre. Désormais, la publication des chiffres de l’inflation pourraient donner raison à la stratégie de la FED.
Le repli de l’inflation de 9,1 % en juillet, à 8,5 % en août (-0,6 points, plus fort repli enregistré depuis le début de la vague inflationniste) réhausse les probabilités d’un pic passé de l’inflation. En effet, le recul de l’inflation s’explique principalement par le recul du prix des énergies (-4,6 % sur l’indice des prix de l’énergie du Bureau Labor of Statistics : Consumer Price Index Summary – 2022 M07 Results (bls.gov)). Cependant, le recul de l’inflation touche aussi les transports (-0,5 % sur un mois, après une hausse ininterrompue et soutenue des prix !), ou en partie l’automobile. Ces signaux sont autant d’arguments vers un scénario de stabilisation de l’inflation.
En clair, le recul (malgré tout très modéré) de l’inflation pourrait donner de la crédibilité à la stratégie de la FED. Cependant, le taux d’inflation reste allègrement supérieur au taux neutre, et d’autant plus supérieur au taux de croissance (désormais négatif). En ce sens, rien n’est gagné.
La présence d’une récession aux Etats-Unis rabaisse la valeur du taux neutre, ce qui laisse ouvert le maintien d’une forte inflation (supérieure à 3 %) pour plusieurs années. Enfin, une dégradation durable de la croissance n’est pas un argument favorable aux marchés financiers. La perspective du rapprochement du taux neutre est donc un des catalyseurs du mouvement d’optimiste sur les marchés. Ce dernier signifierait que la FED a dépassé les plus fortes hausses de taux, dans un contexte favorable de léger repli de l’inflation. Pourtant, le risque récessif devrait rester puissant jusqu’en mi-2023 et la présence d’un taux neutre incite à la prudence à moyen terme.