Alors que l’inflation atteint de nouveaux records, les marchés s’inquiètent encore de la possible réorientation des politiques monétaires à long terme. Il sera ici important de saisir l’influence réelle des politiques monétaires actuelles, et les éventuelles conséquences d’un réajustement des politiques à long terme. Le prochain risque systémique semble aujourd’hui se dessiner au fur et à mesure que les banques centrales se retrouvent confrontées à la dépendance croissante de l’économie envers le crédit. Ce qui est grave.
L’influence des banques centrales.
9000 milliards de dollars… pour tenir quelques années ?
Depuis les années 2000, les banques centrales pratiquent des politiques « non-conventionnelles » de manière toujours plus récurrente. Entre janvier 2020 et juin 2021, les banques centrales de zone euro, du Japon et des États-Unis, ont injecté près de 9 000 milliards de dollars sur les marchés. Soit 75% de tout le marché de l’or physique mondial.
Lors de l’injection de liquidités, un processus multiplicateur prend effet. En effet, on observe sur les marchés deux processus parallèles. D’une part, on observe que les cours boursiers sont corrélés aux liquidités disponibles. D’autre part, on observe que les performances des indices boursiers sont corrélées à la part des actions détenues en portefeuille. En 2018, la part d’actions détenues en portefeuille était estimée en moyenne à 48%.
Ainsi, une injection de 9 000Mds$ implique une demande nette sur actions de près de 4100 milliards de dollars. L’année suivante, le même processus se répète. Les vendeurs des 4100 milliards de dollars d’actions réinvestissent ensuite 48% en actions, soit 1 800 milliards de dollars… Le processus se répète jusqu’à ce que les liquidités soient insuffisantes pour maintenir les performances des indices. Par étude des limites, la demande supplémentaire produite sur actions par injections de ces 9 000 milliards de dollars dépasse 8 000 milliards de dollars au bout de quelques années. Ce qui est considérable (23% de la capitalisation du S&P500).
Ruptures et abondances de liquidités.
On retrouve ainsi ce processus multiplicateur dans la comparaison entre les indicateurs de liquidités disponibles sur les marchés et le S&P500. Le bilan de la FED compte parmi les indicateurs de liquidités. Ainsi, après la crise de 2008, les liquidités sont restées très abondantes jusqu’à la politique monétaire restrictive menée à partir de 2017. En 2018 et 2019, les performances ont ralenti et les marchés sont entrés en zone de survalorisation implicite.
Depuis le point de mars 2020, les marchés ont rattrapé près de 40% de leur potentiel en comparaison aux liquidités disponibles. Ce qui correspond très bien à l’effet multiplicateur de liquidités. Néanmoins, au-delà des perspectives de long terme, les marchés peuvent se retrouver confrontés à des pénuries de liquidités à moyen terme. Dans ce cas, les marchés enchainent entre corrections de moyen terme et tendance haussière à long terme.
La réorientation cyclique des politiques monétaires.
En conséquence, une réorientation des politiques monétaires aurait des conséquences à long terme sur les marchés. L’influence des récentes et massives injections de liquidités durera difficilement au-delà de 2025. Les banques centrales sont confrontées à un dilemme structurel. De nombreux économistes et anciens banquiers centraux ont insisté sur la nécessité de conserver une marge de manœuvre et des taux plus élevés, afin de limiter la chute de croissance potentielle.
La réorientation des politiques monétaires devient en enjeu majeur en période d’inflation. La Bundesbank a relevé ses anticipations d’inflation à près de 4% sur 2021. Aux États-Unis, l’inflation enregistrée entre avril 2020 et avril 2021 a atteint 4,2%, soit un plus haut depuis 13 ans. Alors que les déficits publics restent dangereusement élevés, les banques centrales sont dans l’obligation systémique de maintenir des taux faibles, le temps d’un retour à la normale.
Les calendriers avancés par la FED à ce jour sont ceux d’une lente hausse des taux directeurs à partir de 2024. 2022 marquerait ainsi une forte diminution des liquidités injectées. Cela serait un signal évident de limite monétaire sur les indices boursiers d’ici à 2025/2026. Ce qui est extrêmement cohérent avec les cycles économiques et financiers. On retiendra en effet que toutes les stabilisations de taux directeurs (après une hausse préalable), sont suivies d’une chute des taux directeurs. Statistiquement, la quasi-totalité des chutes de taux directeurs provoquent une correction majeure sur les marchés dans les mois qui suivent (1989, 2000, 2006, 2018).
En définitive, la perspective monétaire est celle de politiques monétaires toujours accommodantes, mais graduellement moins intenses à partir de 2022. Cela renforce la puissance du signal qu’implique la limite monétaire des injections de liquidités liées au COVID. En effet, on remarque que l’ampleur des liquidités injectées ont fourni aux marchés un potentiel de hausse à long terme pour plusieurs années (4 à 5 ans). Néanmoins, des corrections de moyen terme sont évidemment une partie intégrante du processus de diffusion des liquidités.
Enfin, le prochain risque systémique se concentre ainsi statistiquement, mathématiquement, monétairement et cycliquement à partir de 2025/2026. L’enjeu des banques centrales sera de garder le maximum de marge de manouvre dans un contexte budgétaire et financier extrêmement sensible à la moindre variation de taux. C’est structurel.