L’idée selon laquelle l’expansion de la masse monétaire et des budgets publics n’a pas d’influence sur les prix s’est répandue ces dernières années. La logique de court terme a prédominé alors que la plupart des politiques économiques ont ignoré tout ou presque des conséquences à long terme de politiques accommodantes sur le niveau des prix. En effet, le retour de l’inflation relance le débat chez les économistes pour savoir si la création monétaire récente a effectivement contribué, significativement ou non, à l’instabilité des prix.
Masse monétaire et inflation : existe-t-il un lien ?
Le graphique ci-dessous montre l’indice des prix à la consommation pour les Etats-Unis en rouge, et le niveau de la masse monétaire (M2). On remarque une bonne corrélation entre les prix et la masse monétaire (supérieure à 90 % entre 1963 et 2022). En outre, la détermination entre la masse monétaire et l’indice des prix excède 80 %. Cela signifie que, sur le long terme, la masse monétaire explique probablement la très large majorité de l’inflation.
Cependant, nous devons souligner les mécanismes inhérents à la création monétaire. La création monétaire peut se faire dans le cadre de rachats de dettes publiques ou de créances privées (intervention de la banque centrale), ou bien dans le cadre de crédits de banques commerciales. Dans ce dernier cas, lorsque la création monétaire est associée à l’accroissement du crédit en circulation, l’inflation est souvent génératrice de croissance économique. Cependant, ces dernières années, la croissance moyenne se réduit et la création monétaire augmente sous l’effet de l’action des banques centrales. Cela génère donc de la « mauvaise » inflation comme nous la connaissons aujourd’hui.
Diffusion de la monnaie aux prix !
Si la création monétaire est responsable de la hausse des prix, on peut alors se poser la question du temps nécessaire à la formation de ce mécanisme. Par exemple, lorsque 1 million d’euros est créé aujourd’hui pour acheter une maison, l’achat ne fait pas bouger les prix dans l’immédiat. Ce n’est que lorsque que l’ancien propriétaire, disposant de 1 million d’euros en cash, décidera d’acheter une autre maison à 800 000 euros par exemple que l’inflation va débuter… Ensuite, l’ancien propriétaire de cette autre maison à 800 000 euros économisera 20 % pour acheter une nouvelle maison à 640 000 euros et ainsi de suite… On admet ainsi qu’à chaque transaction, l’ancien propriétaire conserve 20 % de la somme sur son compte. Ainsi, il y a un phénomène « logarithme » à l’inflation. Comme pour le multiplicateur keynésien, il y a un multiplicateur de prix.
En clair, la création d’un million d’euros aujourd’hui pour acheter un bien impactera les prix dans 10 ans. En effet, chaque nouvelle transaction générée à partir de monnaie créée est source d’un changement des prix dans l’économie. Pour mesurer l’impact de la création monétaire sur les prix, on a mesuré la corrélation entre la variation de la masse monétaire et la variation des prix depuis 1963. Ensuite, on a mesuré cette corrélation en fonction de la variation à 1 an des deux variables, puis 2 ans, puis 3 ans… On remarque qu’il n’existe aucun lien à court terme entre la variation des prix et la variation de la masse monétaire. Ensuite, le lien entre inflation et variation de la masse monétaire s’accroît rapidement jusqu’à 5 ans, avant de progresser et de devenir quasiment absolu au-delà d’une décennie.
Ainsi, on remarque que la hausse des prix générée par la création est maximale en moyenne 5 ans après le moment d’émission. Ce n’est que passé une dizaine d’années que l’ensemble des effets générés par la masse monétaire sur les prix se sont manifestés.
Création monétaire : cause de l’inflation actuelle ?
Dans une précédente publication, nous avons montré que l’inflation générée par la guerre et la hausse des matières premières et énergies depuis janvier représentait tout juste de 20 % de l’inflation. En effet, l’inflation induite par l’énergie et les matières premières a même déminué en juin en zone euro. En outre, il est probable que la création monétaire observée depuis 2012 soit responsable de plus de 70 % de l’inflation actuelle (coefficient de détermination 2012-2022). Le COVID aurait ainsi joué essentiellement un rôle d’accélérateur. La rupture des lignes de production et des flux en 2020 a perturbé la production et encouragé une inflation conjoncturelle.
Dans tous les cas, l’inflation demeure un phénomène monétaire. Qu’il s’agisse des hyperinflations antiques, des hyperinflations précédant et suivant la révolution française, des hyperinflations de l’entre deux guerres, la cause est toujours la même : un accroissement durable de la masse monétaire au-delà des capacités de l’économie. Mais nous devons souligner ici une autre observation statistique : l’inflation induite par la création monétaire met au moins 2 ans pour montrer ses premiers effets, et jusqu’à 10 ans pour avoir un effet complet sur les prix. Le fait que les banques centrales réagissent par « chocs » de court terme met donc en péril la stabilité des prix à long terme.
Dans les années 1960, Milton Friedman écrivait : « l’inflation est comme l’alcoolisme. Lorsqu’un homme se livre à une beuverie, le soir même cela lui fait du bien. Ce n’est que le lendemain qu’il se sent mal. », (Inflation and Monetary System, 1969).