“Les Etats Unis ont de plus en plus de difficultés avec l’Arabie Saoudite qui fait les beaux yeux à la Chine. L’enjeu est de taille voire totalement gigantesque: les Wahhabites veulent vendre du pétrole aux chinois en Yuan (la monnaie chinoise). Ce serait la fin de l’hégémonie du pétrodollar instauré dans les années 70 par l’association des saoudiens et des américains (principe du pétrodollar: 100% du pétrole saoudien se négocie en dollar). Pétrodollar qui impose naturellement une réserve de dollar à tout le système financier mondial. Bref, c’est ce système qui garantit la bonne application des sanctions économiques américaines là où bon leur semble. C’est leur première arme.”
Voilà un extrait d’un article disponible sur ce site que j’avais rédigé en toute fin de l’année 2022. Voici le lien: https://youtrading.com/fr/liran-derriere-la-revolte-des-femmes-des-enjeux-geopolitiques-et-economiques-gigantesques/
Vous devinez de quoi nous allons parler: la fin du pétrodollar et certainement la naissance du petroyuan. En effet, il y a quelques jours, le président chinois Xi Jinping a rencontré le président russe Vladimir Poutine pour discuter amicalement, démontrant ainsi leur solidarité. Ces deux pays cherchent à prendre une position de leader dans ce qu’ils appellent un « ordre mondial multipolaire », remettant en question les alliances et les accords qui sont centrés sur les États-Unis. Parmi ces accords, il y a le pétrodollar qui est en vigueur depuis plus de 50 ans.
Précisons d’abord ce qu’est ce fameux petrodollar. C’est un simple accord informel conclu dans les années 1970 entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite, le principal exportateur de pétrole de l’époque. Cet accord stipule que les pays qui achètent du pétrole à l’Arabie Saoudite et aux autres pays de l’OPEP doivent payer en dollars américains. En échange, les États-Unis avaient accepté de fournir une protection militaire à l’Arabie Saoudite et surtout à la famille royale saoudienne. En 1975, d’autres membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) avaient emboîté le pas de Riyad. Le pétrodollar était né. Cet accord créa une forte demande pour le billet vert américain dans le monde entier et contribua à renforcer sa position en tant que monnaie de réserve internationale. Ainsi, le pétrodollar est devenu un élément clé de la domination économique et politique des États-Unis dans le monde par son contrôle du système bancaire mondial.
Mais depuis quelques années, nous assistons à la fin de l’hégémonie de ce pétrodollar, car de plus en plus de pays, dont la Chine et la Russie, acceptent d’effectuer des règlements dans des monnaies autres que le dollar américain. Cette idée rumine depuis longtemps… La création de l’OPEP+ en 2016 (avec, notamment, l’intégration de la Russie aux membres de l’OPEP) n’en était qu’une étape supplémentaire. Avant la guerre d’Ukraine, les russes avaient déjà fortement dédollarisé leur échanges au profit de l’Euro. Eh oui. Maintenant expulsés du système Swift, ils semblent se tourner selon toute vraisemblance vers le Yuan chinois. Vous comprenez l’erreur stratégique des occidentaux dans cette guerre d’Ukraine. Cette évolution (qui ressemble de plus en plus à une révolution) aura de vastes répercussions non seulement à l’échelle macroéconomique, mais aussi sur nos portefeuilles d’investissement. Et je vous épargne les risques géopolitiques inhérents.
Ainsi, lors de cette visite d’État de Xi, Poutine a clairement exprimé sa préférence pour le yuan chinois comme monnaie privilégiée pour les transactions commerciales, soulignant ainsi l’importance croissante des échanges économiques entre les deux pays. Le piège tendu aux occidentaux était parfait. Depuis les sanctions occidentales imposées aux russes pour son invasion de l’Ukraine, Moscou dépend (volontairement?) de plus en plus de son voisin méridional pour écouler son pétrole que les autres pays ne veulent plus toucher. En effet, sur le début de l’année 2023, les importations chinoises en provenance de Russie se sont élevées à 9,3 milliards de dollars, dépassant, en dollars, les importations de l’année 2022, un nouveau record. Le yuan est vraisemblablement utilisé pour effectuer ces règlements, comme vous le devinez. « C’est le crépuscule pour le pétrodollar… et l’aube pour le pétroyuan » déclara, il y a peu, Zoltar Pozsar, économiste renommé basé à New York.
Alors, il ne faut pas non plus dire que le dollar est mort et qu’il va disparaître. Le billet vert reste la monnaie de réserve mondiale, mais sa domination s’effrite… rapidement et avec envergure. D’autres grands pays de l’OPEP et des membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) acceptent déjà le yuan ou envisagent de le faire. Russie, Iran et Venezuela vendent leur pétrole en échange de yuans (environ 40 % des gisements de pétrole prouvés dans le monde, à l’heure actuelle) . La Turquie, l’Argentine, l’Indonésie et l’Arabie Saoudite sont candidats à leur intégration dans les BRICS. L’Égypte, en proie à une grave crise économique, en est devenue membre la semaine dernière. Quand on y regarde de plus près, dès qu’un pays tombe en difficulté économique, la Chine ramasse le boiteux, le soutient et l’intègre à son “projet”. Pas mal joué, n’est-ce pas? La Grèce n’y a pas échappé en son temps.
Le yuan va donc se renforcer et devenir une monnaie de réserve pour de plus en plus de pays. L’équilibre des pouvoirs au niveau mondial va être bouleversé. La Chine étend sa main mise sur de plus en plus de zones où les américains dominaient par la simple arme de la menace monétaire. La part du dollar américain dans les avoirs officiels des banques centrales mondiales a diminué au cours des 20 dernières années, passant de 72 % en 2001 à un peu moins de 60 % aujourd’hui. Il faut aussi bien avoué que ce n’est pas vraiment l’effet du Yuan, mais tout d’abord celui de l’Euro. Car finalement, n’est ce pas une stratégie déjà appliquée quelques dizaines d’années plus tôt… par les européens? Je crois que oui. Mais cette part va encore diminuer dans les années à venir et rapidement. Là, ce sera l’effet Yuan. D’ailleurs, la part du yuan dans les avoirs officiels a plus que doublé depuis 2016. 2016? L’année de création de l’OPEP+… La boucle est bouclée.
Mais, quid des occidentaux? Ils représentent encore aujourd’hui la grande majorité des flux commerciaux. Ainsi, le dollar, malgré le fait d’être challengé par l’Euro, reste la monnaie dominante. C’est effectivement le cas… mais jusqu’à quand? Car, voyez-vous, le monde occidental commence à subir des pressions diverses afin de ne plus effectuer leur échanges avec les monnaies habituellement utilisées. Balivernes? Lisez plutôt la suite.
Ces derniers jours, la China National Offshore Oil Corporation et le français TOTAL ENERGIE auraient finalisé le premier achat par la Chine de GNL en provenance des Émirats Arabes Unis, la transaction devant être réglée en yuan chinois. Le volume concerné serait de l’ordre de 3,2 à 3,4 milliards d’unités thermiques britanniques (sans creuser plus loin sur ce que représente une unité thermique britannique, on comprend que c’est un deal important). Nous venons d’assister à la première transaction internationale de GNL réglée en yuan. Et elle implique un des plus gros intervenants sur le marché du GNL mondial: notre Totalounet national… Le train est en marche, rien ne l’arrêtera même si de nombreuses étincelles risquent d’apparaître ça et là.
Risques d’étincelles? Oui des risques géopolitiques ne sont vraiment pas à exclure. Pensez-vous sincèrement que les Américains vont accepter la situation sans rechigner? Je vous rappelle que tout le système bancaire mondial est entre les mains des Etats-Unis grâce à cette hégémonie du dollar. Cette hégémonie monétaire leur permet, ainsi, de sanctionner qui ils veulent, quand ils veulent, où ils veulent, et pour les raisons qu’ils veulent. Alors, penser qu’ils vont observer les événements sans rien faire est d’une naïveté que nous n’aurons pas.
Dans l’article précédemment cité au début de ce récit, j’avais émis l’hypothèse de la volonté des Américains de déstabiliser le pouvoir iranien en place en soutenant la révolte populaire d’il y a quelques mois (révolte étouffée dans la violence, soit dit en passant). On ne pouvait pas vraiment savoir pourquoi l’Oncle Sam cherchait à affaiblir le pouvoir en place. Mais les réponses sont tombées il y a peu. En effet, un accord secret était en train de se mettre en place entre iranien et saoudien. Entre sunnites et chiites. Entre le blanc et le noir. Entre l’eau et le feu. Inconcevable, me direz-vous. Peut-être. Mais il se trouve que les relations diplomatiques ont été rétablies entre les deux grands pays du Moyen-Orient. Et il est fort à penser que ce n’est qu’une brique supplémentaire de la volonté du Moyen-Orient de se tourner vers la Chine au détriment des États-Unis. Ainsi, je reste toujours en alerte sur la situation géopolitique de cette partie du monde.
J’ai aussi une pensée pour la société TOTAL ENERGIE. J’espère qu’ils savent ce qu’ils font. Je rappelle que Christophe de Margerie est mort “accidentellement” en 2014 sur le territoire russe après avoir clairement affiché son grand intérêt pour exploiter les gaz russes. Quelle malchance, n’est-ce pas? J’ai du mal à croire que les Américains laissent une société occidentale ayant des intérêts aux États-Unis faire des transactions en yuan sans provoquer de nouveaux incidents “malchanceux”. Voilà pourquoi il me semble raisonnable et ce n’est surtout pas un conseil d’achat ou de vente, mais il me semble raisonnable de se poser les bonnes questions si vous avez en votre possession des titres TOTAL ENERGIE. Méfiez vous.
La révolution monétaire qui se déroule sous nos yeux est un événement majeur dans le monde actuel. La perte d’influence américaine est évidente sur le plan moral, politique mais aussi économique. Le phénomène s’accélère depuis quelques années. Il est devenu l’obsession des gouvernements américains démocrates et républicains qui se succèdent à la Maison Blanche. Il est fort à penser que l’Oncle Sam ne se laissera pas reléguer à la place du second sans défendre ses intérêts et son hégémonie sur le monde. Croyez-moi… il va se passer beaucoup de choses dans nos allocations d’investissements dans les années à venir. Tâchons ensemble de bien comprendre où nous en sommes, pour ne pas nous tromper de cheval le moment venu.