Nous nous attacherons ici à démontrer ou non le caractère déterminé de l’inflation. L’inflation est-elle déterminée, c’est-à-dire prévisible ? Et si c’est en partie le cas, par quels mécanismes économiques pouvons-nous l’expliquer ?Cette question, qui peut paraître absurde, mérite en vérité d’être très largement posée dans le débat. L’anticipation de l’inflation est extrêmement utile lorsque l’on connaît le rôle des phénomènes monétaires sur le prix des actifs financiers. Alors que l’inflation actuelle reste sans précédent depuis le pic de stagflation de 1980, il est légitime de recourir à toutes les formes et les méthodologies qui nous sont utiles dans l’anticipation de l’inflation future.
L’inflation est-elle déterminée ?
Dans le graphique ci-dessous, nous avons représenté la courbe de l’inflation pour les Etats-Unis depuis 1958 (en pointillés, en bleu, axe de droite). Ensuite, nous avons réalisé le cumul des variations de l’inflation américaine sur une période de 50 mois (courbe noire, continue). Cet indicateur de cumul des variations nous permet de caractériser la force d’accroissement de l’inflation dans le temps.
Mais une implication stupéfiante apparait lorsque nous décalons sur le graphique l’indicateur de variations cumulées avec une période de 10,33 années (124 mois). En effet, on obtient alors un indicateur de variations cumulées décalé dans le futur. On remarque ainsi que la force d’accroissement présente de l’inflation détermine en grande partie la courbe de l’inflation elle-même 10 ans plus tard. La corrélation entre l’inflation dans 10 ans et le cumul des variations actuelles de l’inflation est de 70% tandis que le coefficient de détermination excède les 50%.
Comment expliquer une telle relation ? Pourquoi la force d’accroissement de l’inflation actuelle et des années passées détermine-t-elle la figure structurelle de l’inflation future ? En vérité, comme nous le démontrons plus bas, l’explication est cyclique. Nous devons avoir ici en tête que l’inflation est avant tout un processus auto-réalisateurponctué régulièrement par des chocs d’inflation ou de déflation.
Quel scénario pour l’inflation future ?
Nous avons donc vu que la force d’accroissement de l’inflation mesurée sur les dernières années jusqu’à nos jours détermine en grande partie la figure de l’inflation 10 ans plus tard. Plusieurs conclusions majeures s’ouvrent à nous :
-Premièrement, la déflation de la crise du COVID, suivie par la forte résurgence inflationniste, corrèle parfaitement aux variations cumulées de l’inflation au sortir de la crise de 2008.
–Il est probable que l’inflation actuelle se temporalise avant une nouvelle accélération à l’horizon 2024.
-On notera, avec une forte corrélation aux autres cycles observés [lire], la présence d’un risque désinflationnistevoire récessif à l’horizon 2025/2026.
-De plus, il est probable d’observer un nouveau pic d’inflation à partir de l’année 2032, ce qui concorde avec diverses démonstrations que nous avons menées sur d’autres marchés.
Cette observation corrèle à plusieurs égards avec de nombreuses études que nous avons déjà menées dans le passé. Nous pourrions donc affirmer sous une certaine mesure que ce scénario constitue le scénario le plus probable dans un horizon de 10 ans.
Les forces sous-jacentes à l’inflation.
L’explication avancée à ces chocs déterminés est avant tout cyclique. Les chocs économiques se répandent de manière dynamique dans le temps en suivant des ondes de diffusion plus ou moins déterminées. Par exemple, si l’accroissement actuel de l’inflation est maximal, il est probable que les entreprises ou les ménages désirant acheter des biens vont attendre encore 1 à 2 ans. Une fois passé ce délais, les entreprises et les ménages achètent les biens à des prix plus raisonnables, ce qui provoque une stimulation de la diminution de l’inflation, jusqu’à ce que les capacités de production soient à nouveau utilisées à leur seuil limite. Dès lors, l’inflation réaugmente passé un horizon de 5 à 6 ans, ce qui stimule l’offre qui ne pourra alors qu’influencer à la baisse la demande 5 à 6 ans plus tard et ainsi de suite…. Il y a un cycle de confrontation de l’offre et de la demande qui trouve son expression primaire dans les cycles de l’inflation. C’est aussi naturel que cela.
Pour démontrer mathématiquement notre analyse, nous avons recours à une méthodologie d’analyse cyclique complexe. Entre 1980 et 2022, nous décomposons l’inflation mesurée aux Etats-Unis pour obtenir les principaux cycles déterminants de l’inflation. La première observation, non des moindres, est que l’inflation est déterminée par un nombre restreint de cycles primaires, contrairement à la cyclicité de la plupart des autres actifs.
Le graphique ci-dessus mesure la période de chaque cycle (en abscisse et en mois) avec l’influence de chaque cycle sur l’inflation (en ordonnée). On remarque que le cycle le plus influent sur l’inflation est un cycle de 3,56 mois, soit 10,6 ans (3×3,55). Cela correspond en outre au cycle découvert par l’économiste Ragnar Frisch en 1933. Là encore, avec une méthodologie mathématique totalement indépendante de notre première démonstration graphique, nous retrouvons cette période de 10 ans pour laquelle la corrélation entre les variations passées et les variations futures est maximale. Ensuite, on notera la présence de cycles connexes et en 4e position d’influence, un cycle de 8,6 années, qui est aussi un cycle remarquable.
En bref.
En bref, il paraît clair que l’inflation n’est pas un processus statistiquement hasardeux. Les mécanismes inhérents à l’inflation sont des mécanismes fortement déterminés et déjà pratiqués sous certains aspects dans l’analyse cyclique. L’inflation permet essentiellement d’anticiper la réaction du prix des actifs financiers. Nous devons aussi reconnaître que l’inflation, qui est aussi l’écart entre l’offre et la demande, est avant tout un processus profondément cyclique. Il n’existe aucune économie dans laquelle l’inflation n’est pas déterminée par les variations de l’inflation passée. On remarque ainsi la présence de cycles primaires, comme un cycle de 10 ans ou encore de 8 ans qui nous ouvrent encore la possibilité d’analyses passionnantes.