La crise bancaire américaine qui a eu lieu ces dernières semaines a eu des répercussions sur les banques européennes. Evidemment, ce sont toujours les valeurs qui ont eu le plus de difficultés dans le passé qui ressortent des cartons dans les stress de marchés. Il semblait assez évident que la Deutsche Bank allait être concernée. Mais à l’heure où j’écris cet article, il n’en est rien pour l’établissement germanique. Dans le cas où, dans les prochains mois, ce dossier ne subirait aucune répercussion de cette crise américaine, on pourra alors considérer comme une bonne nouvelle que la Deutsche Bank soit sortie de la tête des “hedge funds shorters » toujours à la recherche de la prochaine catastrophe. Mais ce ne fut pas le cas pour tous les canards boiteux de la côte européenne.
Ainsi dans cette basse-cour, la bête malade se nommait le Crédit Suisse. C’est un vieux serpent de mer que de parler du Crédit Suisse. Mais cette banque a tout simplement fait des investissements particulièrement risqués et a subi de plein fouet la levée du secret bancaire qui permettait aux établissements bancaires helvétiques bien des largesses. Évidemment, c’est quand la mer se retire que l’on voit qui se baigne sans maillot de bain (oui, c’est une phrase de Warren Buffett et je la lui rends). Ainsi, la banque helvétique cotait à son sommet historique en 2008 autour des 95 francs suisses. Elle n’en vaut même plus 1 aujourd’hui. Ainsi, je ne peux que m’étonner de voir des gens avoir mis leur deniers dans un titre qui n’a fait que baisser depuis 15 ans. Mais quand j’ai appris qu’il y en avait même qui avaient investi dans des obligations dites AT1 sur le même titre, je suis resté sans voix et en l’occurrence sans stylo.
Décrivons d’abord ce que sont ces obligations AT1 surnommées, dans le milieu, les “coco Bond” pour COntingent COnvertible Bonds. Ces obligations AT1, sont des instruments de dette hybrides émis par les banques. Elles sont considérées comme des obligations de niveau 1 car elles sont conçues pour absorber les pertes en cas de difficultés financières de la banque émettrice. Elles contiennent notamment une clause de conversion contingente (d’où le surnom de COCO) qui permet à l’obligation de se convertir en actions si certains événements spécifiques se produisent, tels qu’une baisse du ratio de solvabilité de la banque émettrice ou une décision réglementaire. Oui, ce sont des OCA (Obligations Convertibles en Actions), de vulgaires OCA mais encore pires que les OCA que l’on connaît. Enfin, selon moi, c’est encore pire que tout, pour les raisons qui suivent.
Il existe une clause qui a été appliquée dans le cas du Crédit Suisse qui explique clairement les choses. « Le soutien exceptionnel de l’État déclenche un amortissement complet de la valeur nominale de tous les emprunts AT1 de Credit Suisse pour un volume d’environ 16 milliards de francs, et donc une augmentation des fonds propres de base », propos recueillis auprès de la FINMA (Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) qui est l’autorité de régulation suisse supervisant les activités des institutions financières et assurant la protection des investisseurs, la stabilité du système financier suisse et la prévention de la criminalité financière. Le mot important dans cette phrase est “amortissement complet”.
Pour simplifier, le coco bund a été transformé en action dans sa totalité en un claquement de doigts tout en étant totalement amorti dans le même temps. La notion d’amortissement, ici, signifie que les ayants-droits ont justement perdu 100% des droits qui leur revenaient, en l’occurrence le droit d’avoir une compensation financière du fait de la conversion en action. Enfin, ce n’est pas tout à fait la vérité puisqu’il s’agit plutôt d’un versement dans les capitaux propres de la société associé à une perte totale de droit. Alors, tous ces créanciers pourraient effectivement faire des recours en justice ce qu’ils sont d’ailleurs en train de faire. Mais je peux vous dire aujourd’hui le résultat du procès : il n’obtiendront rien sauf retournement de situation car c’était contractuellement écrit.
Les Suisses n’ont pas fait de cadeaux à ses créanciers pour la simple et bonne raison qu’ils ne sont pour une très grande partie pas du tout suisses. Et je peux vous dire, pour avoir fait 2 ou 3 séjours du côté de Lausanne, que je suis ressorti de ce pays avec la conviction que les suisses, dans un cas pareil, se foutent totalement de la nationalité de qui va être spolié. Pour eux, l’argent n’a jamais eu d’odeur…
Ainsi, pour résumer, le coco bund est vraiment un produit financier que l’on peut comparer à une grosse saloperie. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait des études poussées pour comprendre que la distorsion entre le risque et le reward pris par l’ayant-droit est totalement démesurée car la rémunération obtenue en compensation est finalement ridicule. Je m’explique.
J’ai lu ça et là que la rémunération atteignait les 5,5 % par an sur ce type d’obligation. Alors, effectivement, c’est particulièrement bien rémunéré avec des taux qui depuis des années oscillent entre 1 et 3 %. Passons sur la remontée actuelle de ces mêmes taux. Mais était-ce si intéressant que cela quand on connait les clauses que je viens d’énumérer précédemment? Sachez que j’ai oublié de vous dire qu’il n’y avait pas de date d’échéance à ces obligations. Ce sont effectivement des obligations sans date d’échéance prévue. Enfin si, il y avait des échéances bien écrites, celles que je vous ai cité ci-dessus: la conversion en actions. Mais, rappelez-vous ce que j’ai dit au tout début de cet article, l’action est passée de 95 à moins de 1 franc suisse en 15 ans. Donc, la conversion éventuelle ne pouvait être qu’à un prix défavorable pour l’ayant-droit, tout en espérant qu’il n’apparaisse pas de mise en route du processus d’amortissement complet pendant au moins 2 décennies afin d’être sûr de retrouver ne serait-ce que ses billes. C’est totalement dingue. Un risque total était rémunéré quelques dixièmes de pourcent de mieux qu’une obligation classique.
Ainsi, le rachat de la banque Credit Suisse par sa consœur UBS n’a pas fait que des heureux. Bien au contraire. Les autorités suisses ont ramené à zéro la valeur de 16 milliards de francs suisses d’obligations AT1 émises par le Crédit Suisse, comme le prévoyaient ces instruments hybrides pour offrir aux banques de la flexibilité financière. Brutal et sans appel. Merci pour le service rendu, maintenant circulez!!! Alors, certains s’étonnent de se voir moins bien traités que les actionnaires qui ont, quant à eux, récupéré une petite, toute petite partie de leur investissement à 76 centimes de francs suisses par action. Ce serait tout à fait vrai s’ils avaient détenu des obligations classiques. Mais elles n’étaient pas… “classiques”.
Pris de cours les porteurs de ce genre d’actifs, même s’il est évident que ce risque est l’une des caractéristiques intrinsèques de ces produits, vont devoir réexaminer le risque lié à ces produits et procéder à des arbitrages, ce qui provoquera sans doute des remous sur ce marché des CoCo évalué à 275 Mds$. D’ailleurs, vous pouvez déjà considérer qu’il vaut 16 milliards de moins, les 16 milliards du Crédit Suisse. Par voie de conséquence, il est certain que les 260 milliards restants seront bradés sur le marché de ces fameuses obligations AT1, car je vous le répète il n’y a pas de date d’échéance. Incroyable que l’on ait créé des choses pareilles.
Plusieurs leçons à deux à tirer de cette histoire. Et c’est un avis personnel. Mais investir de près ou de loin dans le système bancaire reste réservé à des spécialistes dont je ne fais pas partie et dont peu de gens font partie. Autre leçon, 2008 n’a pas encore révélé tous ses bébés cachés dans les placards: un vieux fantôme de 2008 vient de nous péter à la figure. Faites toujours attention à des actifs affichant des rendements supérieurs à la moyenne du marché, il existe certainement une bonne raison pour cela. Et toute dernière réflexion: n’achetez, n’investissez que dans ce que vous connaissez afin de distinguer ce qui est une réelle opportunité d’un réel risque disproportionné.