Le rachat d’actions “avec destruction des titres” est une opération financière dans laquelle une entreprise rachète ses propres actions sur le marché boursier. Ce processus très répandu aux Etats Unis a toujours eu du mal à se développer en Europe et notamment en France. Mais les choses changent. Découvrons ce processus surprenant pour les non-initiés au premier abord mais qui a tout son sens économique pour l’entreprise et ses actionnaires.
Le terreau sur lequel se forge une stratégie de rachat d’actions est constitué d’une trésorerie non utilisée par l’entreprise et d’une absence de projet futur. Ces deux éléments réunis provoquent une problématique de rentabilité des capitaux investis par les actionnaires car l’argent n’est pas réinvesti mais accumulé en trésorerie. Ainsi, lors des assemblées générales des entreprises qui se trouvent dans cette situation, il apparaît une pression des actionnaires sur le staff pour augmenter le dividende ou le cours de bourse de l’entreprise.
Mais, en comparaison avec la distribution de dividendes importante, le rachat d’actions apparaît comme une stratégie financière beaucoup plus intéressante pour toutes les parties impliquées. Ainsi, cette opération permet d’augmenter la valeur des actions restantes. Elle est aussi très pratique pour diminuer le flottant sur les marchés et, par la même occasion, augmenter le pourcentage de propriété de chaque actionnaire qui a conservé la totalité de ses titres. L’opération a aussi pour conséquence l’amélioration de certains ratios financiers de l’entreprise. A terme, cela peut se concrétiser par une augmentation substantielle du dividende par action. Mais expliquons-nous un peu plus profondément sur le sujet.
Tout d’abord, je vous expliquais que l’opération permettait d’augmenter la valeur des actions restantes. Au-delà des critères de développement de l’entreprise et de capacité à faire des bénéfices, une action est tout d’abord un titre de propriété qui représente une part de l’entreprise. Quand vous possédez une action, vous possédez un titre de propriété. Chaque action est une part égale du capital. Au fur et à mesure des années, le capital s’est associé à ce que l’on appelle des réserves, l’ensemble constituant les capitaux propres: c’est la véritable valeur de l’entreprise. Pour être simple, on dira que les capitaux propres ( additions du capital de départ et des bénéfices accumulés et non distribués) représentent la nouvelle valeur des actions. Au bout d’un certain nombre de dizaines d’années, vous devinez que le chiffre peut être très très très supérieur à la valeur dite nominale de nos fameuses actions. En imaginant que l’entreprise est constituée de 100 actions, chaque action représente 1% des capitaux propres de l’entreprise. Si l’entreprise rachète 50 actions, et qu’elle les détruit, il reste 50 actions qui se partagent la totalité des capitaux propres. Mécaniquement la valeur monétaire de ces 50 actions restantes sera doublée. A vrai dire, ce n’est pas tout à fait vrai, mais considérez que c’est vrai pour le futur.
Ensuite, dans le cas d’une société qui est cotée en bourse, le rachat d’actions permet de réduire ce que l’on appelle le “flottant” sur le marché (la quantité d’actions laissées au marché pour permettre une certaine quantité d’échanges de titres au quotidien sur les marchés). Dans ce cas, la décision de l’entreprise est de retirer une partie des actions dilapidées à tout vent selon les lois de la Bourse. Cela permet notamment aux dirigeants de ne pas voir arriver des investisseurs indésirables voire trop puissants au sein du conseil d’administration. Et ne croyez pas que ce que je viens d’écrire est anodin, si vous avez des actionnaires fidèles mais qui ont perdu un pourcentage du pouvoir pour une raison ou une autre, le rachat d’action permet de reconstituer leur pourcentage de pouvoir et par la même occasion de garantir la stabilité du conseil d’administration en place. Oui, il y a une prime à ceux qui sont déjà bien installés dans leur siège. Et oui, c’est peut être la prime à l’immobilisme pour ne pas dire autre chose.
Enfin, cette opération financière peu connue du grand public a pour qualité de modifier l’équilibre des masses financières que l’on trouve au bilan de l’entreprise. Pour être un peu technique, le rachat provoque une sortie de trésorerie importante au niveau de l’actif du bilan. Du côté du passif, on constatera une réduction des capitaux au moment de la destruction des titres rachetés. Alors vous me direz: Quels sont les ratios qui sont concernés par mon propos? Il s’agit de tous ceux qui sont en rapport avec la rotation des actifs financiers. Pour être simple, le lendemain matin de l’opération, l’activité de l’entreprise est exactement la même, avec les mêmes bénéfices, les mêmes chiffres d’affaires, les mêmes employés, et les mêmes dirigeants. Mais avec beaucoup moins d’argent investi ! Cela aura donc un impact direct sur les ratios de rotation d’actifs que sont le ROA et le ROE. Pour être simple: avec moins d’argent, on fait autant. L’argent travaille mieux, plus vite, plus rentable. La conséquence directe est une augmentation, au prorata du rachat d’actions, du bénéfice par action (le BPA) et donc de la potentialité de dividende à distribuer à chaque action. Bref le Graal de tout investisseur à long terme.
Mais les effets positifs de ce que l’on appelle dans la langue de Shakespeare des “buy back” ne s’arrêtent pas là. Lorsque l’entreprise entame son programme de rachat d’actions, elle devient elle-même acheteuse de titres sur le marché boursier. Ainsi, le rachat, par lui-même, provoque une hausse souvent structurelle du cours de bourse du titre. S’ajoutent, à cela, les spéculateurs qui voient une aubaine pour faire un bénéfice rapide et facile. Ceux-là sont souvent accompagnés de certains ignorants qui regardent le graphique du cours de bourse monter en se disant que cela va continuer, ce qui, comme vous l’avez compris, est techniquement vrai.
Alors pourquoi certains n’ont pas fait cela avant cet article? Eh bien c’est parce qu’il existe quand même quelques inconvénients à l’opération. Comme vous l’avez compris, l’entreprise rachète les actions avec ses propres deniers et donc sa propre trésorerie. Évidemment que certains néophytes de ces opérations financières crieront au scandale et à la dilapidation des biens de la société. Techniquement ,ils ont tort puisque le seul bien que possède la société réellement est égal à 0: ce qu’elle possède est compensé par ce qu’elle doit. Toutefois, il faut admettre qu’ils n’ont pas vraiment tort dans le quotidien de l’entreprise. La suppression d’une partie de la trésorerie a des conséquences sur les capacités de l’entreprise à faire face à des aléas ou de nouveaux investissements à réaliser. Mais je rappelle que ces opérations de buy back sont réservées à des entreprises qui ont une trésorerie importante et avec un historique de bénéfices conséquents et qui ne sont pas remis en cause à l’instant T. Ainsi, naturellement, dans les années qui suivront l’opération, sauf incident, la société reconstituera son nouveau trésor de guerre. Évidemment, vous me direz qu’elle pourra recommencer son opération de buy back. Vous avez tout compris. Mais en attendant, il se refait vite une bonne santé financière. Mais, le plus souvent,ces opérations se font en continue pour ne pas perturber trop fortement le cours de l’action par un effet d’annonce intempestif mais aussi pour ne pas provoquer des remous importants dans les flux de trésorerie de l’entreprise.
Les entreprises peuvent également utiliser des programmes de rachat d’actions pour récompenser les dirigeants de l’entreprise et les employés clés qui ont des options d’achat d’actions ou des actions gratuites. Mais, nous ne traiterons pas de ce sujet aujourd’hui, car il y a juste un transfert de propriété pour des raisons de politique de rémunération. Nous, on veut du destructible!!!
Par ailleurs, le rachat d’actions est parfois financé par l’émission de dettes (totalement ou partiellement). Pour tout vous dire, je trouve aberrant de recourir à la dette car les ratios financiers ne s’amélioreront pas comme présenté plus haut. Je dirais même pire: ils se dégraderont à terme vu que l’emprunt n’est pas une opération sans coûts supplémentaires. Si vous voyez ce genre d’opération financée avec de la dette, dites-vous bien que ce sont les dirigeants ou les actionnaires en place qui tentent de protéger la stabilité du conseil d’administration de l’entreprise d’un “agresseur extérieur”, à bon ou mauvais escient. Mais ce n’est pas le sujet du jour.
Ces opérations sur la place parisienne s’appellent des OPRA (Offres Publiques de Rachat d’Action). Toutefois, l’utilisation d’une OPRA n’est pas obligatoire pour effectuer un rachat d’actions. La société peut simplement racheter directement au marché les actions qu’elle souhaite acquérir. C’est d’ailleurs l’option la plus souvent employée par les entreprises concernées même si il existe quelques règles à respecter pour ne pas déséquilibrer les échanges quotidiens. Lorsqu’une entreprise souhaite acheter ses propres actions par le biais d’une OPRA, elle doit se conformer aux règles établies par l’AMF et les actionnaires. Le montant total de l’achat ne peut pas dépasser 10% du capital, doit être approuvé par les actionnaires lors d’une Assemblée Générale Extraordinaire et autorisé par l’AMF. De plus, le montant d’achat quotidien ne doit pas excéder 25% du volume moyen des actions échangées sur les marchés. Une fois que l’entreprise a reçu les autorisations nécessaires, elle peut faire appel à une banque ou discuter directement avec ses principaux actionnaires pour racheter les actions.
Ainsi depuis 2 ans sur le marché européen et notamment sur le marché français, on voit de plus en plus d’opérations de rachat d’action avec destruction de titres se mettre en place dans les grandes sociétés mais aussi les plus petites. L’impact sur les cours de bourse de ces entreprises est non négligeable. Le phénomène s’amplifiant, il est tout à penser qu’il existe une corrélation ( peut-être faible mais existante) entre le niveau des indices européens et ses nouveaux phénomènes qui revalorisent la cote du Vieux-continent à la hausse. Voilà certainement une réponse partielle à la bonne santé des indices boursiers européens comparativement à leurs homologues américains qui, eux, ont surperformé l’Europe depuis des années uniquement grâce à ce choix pour le moins judicieux à plus d’un titre.