Dans notre dernier article sur les difficultés rencontrées par la protection sociale (La protection sociale pénalisée par les politiques choisies pendant la pandémie. – Youtrading FR), nous avons présenté le système de protection sociale et avons commencé à aborder les difficultés supplémentaires auxquelles la pandémie l’a confronté. Nous allons ici entrer dans les détails de ces difficultés.
L’assurance maladie ou branche maladie de la Sécurité sociale est déjà en situation de déficit chronique, et ce depuis plus de 30 ans. Les dépenses (remboursements de soins, indemnités journalières de maladie, dépenses hospitalières…) sont le plus souvent supérieures aux recettes (cotisations sociales et contributions sociales généralisées). Les dépenses augmentent plus rapidement que la croissance et donc les recettes. Malgré les réformes successives de l’assurance maladie, il semble difficile d’enrayer la progression des dépenses même si le déficit s’est quelque peu réduit ces dernières années. L’augmentation des dépenses de maladie et de santé s’explique par le vieillissement de la population et par le problème de l’aléa moral. L’évolution démographique contribue à expliquer en partie la hausse des dépenses de maladie et de santé. Le vieillissement de la population, résultat du ralentissement de la natalité, de la hausse de l’espérance de vie, explique une partie de cette hausse des dépenses de santé puisqu’elles augmentent avec l’âge (les dernières années de vie concentrent les dépenses les plus élevées). Ces évolutions sont renforcées par les progrès médicaux qui permettent de mieux soigner certaines maladies autrefois incurables et de recourir à des techniques plus coûteuses de traitements qui prolongent l’espérance de vie mais qui ont aussi un coût important.
La hausse des dépenses de santé s’explique aussi par le problème de l’aléa moral du patient : l’assuré se sachant couvert adopte un comportement qui entraîne une hausse des dépenses de soin : surconsommation de médicaments et d’actes médicaux car l’assuré ne les paie pas directement (illusion du coût nul), arrêt maladie plus fréquent (car l’assurance maladie complète les revenus), comportements plus risqués… La maîtrise des dépenses de soins est rendue difficile par le problème de l’aléa moral du fait du médecin : les rémunérations des professionnels de santé augmentent avec le volume de leurs prescriptions (tarification à l’acte). Le praticien de santé peut être tenté de prescrire davantage de soins, non dans l’intérêt du patient mais dans le but de maximiser son propre revenu.
Enfin le ralentissement de la croissance économique accentue les difficultés de financement. La montée du nombre de chômeurs et de chômeurs découragés a des conséquences négatives sur les recettes de la Sécurité Sociale. Le nombre de cotisants et le montant des cotisations devient alors insuffisant.
Face à cela, des réformes ont été mises en place. Considérant qu’une façon de responsabiliser le patient et de modérer sa consommation de soins consistait à lui faire payer une partie de ces soins, des réformes ont instauré une série de participations financières à la charge de l’assuré (les tickets modérateurs, les franchises ou encore les jours de carence). De la même façon, les médecins reçoivent des primes de l’assurance maladie s’ils adoptent de bons comportements (prescription de médicaments génériques moins chers…). Mais les dépenses de santé et le déficit de la Sécurité Sociale continuent de progresser à un rythme élevé à cause de la crise sanitaire, le tout dans un contexte économique incertain (rythme de croissance économique, évolution des prix et des taux d’intérêt). Autant de facteurs qui peuvent « affecter directement l’assiette des prélèvements, avoir un impact sur les prestations ou sur les revenus des professionnels de santé ou modifier l’incidence financière de la charge de la dette », prévient le HCFiPS.
Même si les comptes se redressent plus vite que prévu (-25 milliards d’euros en 2021 selon le gouvernement au lieu des 33 milliards prévus), le rétablissement des comptes devra s’appuyer sur plusieurs leviers dont la maîtrise indispensable des dépenses dans le domaine de la santé surtout. Face à cette situation particulièrement complexe, miser sur la seule reprise économique ou sur la maîtrise des dépenses serait un pari « peu crédible » selon le HCFiPS.
Plusieurs pistes sont évoquées :
– accentuer la prévention : le gain d’une année de vie sans incapacité rapporterait 1,5 milliard d’euros sur la période 2021-2031
– favoriser une plus grande efficience du système de santé en décloisonnant public et privé, en modernisant la gestion administrative et en optimisant les frais de gestion qui font doublon entre la Sécurité sociale et les complémentaires santé (le système français d’assurance maladie repose sur une prise en charge publique partielle complétée par le recours à une complémentaire santé)
– lutter contre les fraudes
– augmenter les impôts et/ou les cotisations sociales, pour augmenter les recettes, ne doit pas être un « tabou » même si les marges de manœuvre sont limitées dans un pays où le taux de prélèvement obligatoire est parmi les plus élevés au monde. Certaines hausses peuvent sembler justifiées pour modifier les comportements, par exemple sur le tabac, l’alcool ou les aliments transformés.
– plus généralement, en matière de retraite, plutôt que de geler les pensions, le HCFiPS suggère de privilégier un report de l’âge légal de départ à la retraite
A l’heure actuelle, Matignon s’est gardé de dire quelles pistes il privilégiait. Tout juste apprenons-nous que le HCFiPS est chargé d’un nouveau travail qui sera rendu d’ici la fin juin sur la gestion du recouvrement des cotisations et contributions sociales et sur la lutte contre la fraude sociale.