Ahhh si seulement on pouvait être devin, lire dans la boule de cristal. Le rêve de tout trader, de tout investisseur. Ce rêve est finalement celui de tout le monde et bien évidemment des macro-économistes. Il faut bien avouer que savoir par avance si la crise économique annoncée (et dans laquelle je ne crois pas un instant) sera faible, forte ou anecdotique, nous aiderait à faire de meilleurs choix pour nos portefeuilles en 2023.
En 2022, le sujet était plutôt celui de l’inflation. Allions-nous vivre le scénario allemand d’entre 2 guerres où les gens achetaient leur saucisse de Francfort avec une brouette pleine de Deutsche Mark? Rien ne fut aussi grave, cette fois-ci, même si l’Allemagne a encore été à l’origine, ce coup-ci, de choix… hallucinants. Une récurrence coupable dans leur histoire, n’est-ce pas? En ce siècle, la science économique a bien avancé. J’ai envie de dire: “Heureusement !”. Mais sommes-nous assez fiables pour vous donner nos anticipations, nos évaluations? Je vous certifie que la rédaction de Youtrading et moi-même pouvons largement vous donner nos réflexions, avec une fiabilité visiblement supérieure à ce que Powell et Lagarde vous diront dans peu de temps, vu la plus grande erreur de politique monétaire du siècle, celle de 2021 (et leur fameuse “inflation transitoire”).
Depuis cette lamentable erreur, les choses ont changé. Jérome et Christine ont enfin réagi (avec près d’un an de retard) à l’orée de l’été 2022, avec un rehaussement fulgurant des taux, le plus rapide de l’histoire, et certainement le plus dangereux. Mais, malgré tout ce ramdam, il faut bien l’admettre, les banques centrales sont en train de gagner leur pari de cette fin 2022: ramener l’inflation à des niveaux raisonnables sans déclencher de crise économique grave. Powell va entrer dans l’histoire… Énorme lol. Le retournement de l’inflation était-il prévisible au moment de ces décisions? Non. Pouvions-nous anticiper ses mouvements avec un ou deux mois d’avance? Oui. Un peu de jugeote, un poil de connaissance avec un zest d’expérience permet de voir un peu mieux où nous allons. Ainsi, découvrons quelques astuces pour anticiper ce que l’inflation donnera dans les mois à venir.
Commençons par définir l’inflation pour les débutants: L’IPC (Indice des prix à la consommation) mesure l’évolution des prix des biens et services consommés par les ménages. Il est utilisé pour mesurer l’inflation dans une économie. Il est calculé en comparant les prix d’un panier de biens et services à des périodes différentes. Les IPC Core, quant à eux, mesurent l’inflation en excluant les produits les plus volatils tels que les produits alimentaires et l’énergie, afin d’obtenir une image plus stable de l’évolution des prix à la consommation. Eh oui, ça se complique déjà: il y a plusieurs inflations… Alors, je sais que la seule qui compte est celle que vous subissez à la sortie du supermarché, je vis la même chose que vous. Mais en macroéconomie, ces différentes inflations nous aident à anticiper et donc à décider de nos investissements ou à les réorienter. Pratique, n’est-ce pas?
Contrairement à certaines affirmations aperçues par ailleurs, l’IPC et l’IPC Core ne tiennent pas compte de la saisonnalité des prix. L’IPC mesure l’évolution des prix sur une période donnée (le mois) par rapport à une période de référence, tandis que l’IPC Core exclut simplement certains produits volatils pour obtenir une image plus stable de l’inflation. La saisonnalité, elle, fait référence à des variations classiques des prix d’un produit ou service qui sont liées à des facteurs saisonniers tels que les changements de température, les vacances, etc… Des exemples? Les produits maraîchers, les loisirs ou certains produits saisonniers comme les maillots de bain ou les écharpes.
L’une des méthodes courantes pour désaisonnaliser les données consiste à utiliser une moyenne mobile sur 12 mois glissants. Cela permet de lisser les variations saisonnières en prenant en compte les données sur les 12 derniers mois pour calculer une moyenne. Cela donne une image plus stable de l’évolution des prix sur une période plus longue, ce qui facilite la comparaison. C’est la variation du résultat de ce calcul sur 2 mois consécutifs (donc la différence entre la moyenne des 12 derniers mois du mois précédent avec la moyenne des 12 derniers mois du mois actuel) qui donne une image claire de l’évolution des prix. Il existe bien sûr d’autres méthodes pour désaisonnaliser les données, comme l’utilisation de modèles statistiques, mais l’utilisation d’une moyenne mobile sur 12 mois glissants est une méthode simple et couramment utilisée. C’est en regardant les IPC annuels que vous aurez une lecture beaucoup plus “désémotionnalisée” de ces chiffres. Vous pouvez d’ailleurs retenir ce petit conseil pour l’ensemble des chiffres que l’on épluche tout au long de l’année.
Privilégier les IPC Core annuels est donc la combinaison parfaite pour comprendre ce que les marchés lisent. L’IPC “non core”, appelé IPC tout court, quant à lui, permet d’anticiper les retournements de tendance. Avec cette simple connaissance, votre niveau de compétence vient de faire un grand bond en avant. Mais expliquons-nous plus profondément.
Le graphique, ci-après sur fond noir, vous présente une sorte de synthèse de ces chiffres, parfois barbares pour le commun des mortels, mais finalement assez simple à décrypter. En gros, et sans être à cheval sur les virgules et les dixièmes, vous y trouverez tout ce qui est nécessaire pour comprendre l’inflation actuelle aux USA. Le bleu + le rouge, ce sont les IPC core, l’ensemble de ces 4 couleurs sont l’IPC.
Vos yeux s’affutent déjà. Vous voyez que l’IPC décolle dès le printemps 2021. L’IPC core suit avec un peu de retard… De même, en août 2022, l’IPC commence à se retourner, l’IPC core atteint son sommet en octobre et se retourne depuis. Voilà un moyen simple d’anticiper. Voilà pourquoi, ceux qui me suivent par ailleurs m’ont vu être particulièrement perspicace sur les évolutions futures de l’inflation. Il faut juste savoir lire un graphique simplement… Rien à voir avec madame Irma, rien à voir avec l’émotion ou le doigt mouillé.
Quel avenir donner à l’inflation actuelle qui semble ralentir sa hausse (les prix montent mais moins vite)? Le graphique semble nous donner quelques éléments de réponse. Tâchons de les comprendre le plus simplement possible.
Premièrement, la partie manufacturière (en rouge) semble avoir terminé sa hausse inflationniste. Il est même possible d’entrer assez vite dans une phase déflationniste sur ce point. La réouverture de la Chine tend à faire penser à ce scénario. Déflation déjà vue succinctement en 2020 pendant la crise du Covid. Le scénario d’un afflux de produits chinois pendant un ralentissement économique (et non pas une crise économique) risque de faire pencher la barre vers une baisse des prix. Y aurait-il eu des abus d’augmentation de prix pendant ces 2 dernières années? Je crois que l’on a tous perçu des cas évidents dans notre quotidien. A court terme, on a des éléments clairs face à nous. A plus longue échéance, c’est différent. Certains considèrent que la raréfaction des ressources impactera durablement le prix des biens de consommation. Je trouve aussi que le trend du “retour chez soi” aura des impacts inflationnistes. Le dernier point que l’on oublie souvent est que la déflation structurelle des 30 dernières années était basée sur la main d’œuvre bon marché de l’Empire du milieu… Mais ça, c’était avant.
Deuxièmement, la partie non manufacturière (en bleu) ou plus communément appelé “services” est toujours dans un trend haussier qui semble assez difficile à retourner. Historiquement, cela a toujours été le cas. Mais voilà, les ISM non-manufacturiers de la semaine précédente ont connu un fort retournement du sentiment sur ce secteur d’activité. Je vous invite à aller lire mon propos de la semaine dernière. Je peux même vous dire que le chiffre est passé assez inaperçu vu qu’il se situait 1h30 après celui du NFP. Rien de pire que le bruit assourdissant d’un moteur de gros 4×4 pour étouffer le klaxon d’une petite citadine électrique. Mais le chiffre est là… Violent retournement du sentiment général sur les services aux USA… Ce chiffre fera parler de lui si la récession se pointe. Il est donc naturel de penser que cette courbe bleue commencera, au bas mot, à se stabiliser voire, dans les mois qui viennent, à se retourner à la baisse. C’est ce chiffre qui est le plus important dans la structuration de l’inflation future, selon moi. A plus long terme, il est fort à penser que tout se jouera du côté de la pyramide des âges dans les pays occidentaux associé à leur capacité (ou volonté) à accueillir correctement de futurs immigrants. Je suis, là aussi, assez inflationniste pour les échéances plus lointaines.
Troisièmement, la partie verte de ce graphique concerne l’énergie. Elle est clairement dépendante du pétrole et de son cours. Les américains ont réussi en vidant leurs stocks stratégiques et, surtout, en augmentant leur propre production à stopper la hausse des cours contre les tentatives répétées du cartel de l’OPEP+ à maintenir les prix au-dessus des 100$ le baril. Là, pour les mois à venir, je reste neutre. Le ralentissement économique tirant les prix de l’or noir vers le bas. La remontée des stocks US et d’autres éléments tirant ce même prix vers le haut. Nous sommes sur un point d’équilibre selon moi, jusqu’aux prochains événements géopolitiques au Moyen Orient, suivez mon regard: Arabie Saoudite et Iran en tête. Eh oui, l’instabilité est la norme sur ce sujet-ci. Donc ni inflation ni déflation: impact 0. Toutefois, sur plus longue période, le mix énergétique tendant plus ou moins à basculer vers le “décarboné” provoquera un phénomène d’inflation, le temps de la mutation. Une rupture technologique peut aussi tout remettre en question à tout moment. Je pense évidemment à la fusion nucléaire.
Quatrièmement, la partie en jaune de ce graphique est la partie alimentaire, celle qui révolte les pauvres, celle que l’on constate tous dans notre caddie. Les chiffres actuels sont stables. Inflation forte et régulière. Mais des indicateurs avancés penchent vers une diminution de cette inflation, on serait même tenté de penser à un retournement pour une phase déflationniste… En effet, les cours des matières agricoles sont en cours de retournement important. Le coût du fret semble redevenir raisonnable. Ainsi, il semble qu‘une pause soit envisageable à court terme sur ce sujet. Courte pause selon moi. A plus longue échéance, les difficultés maintenant récurrentes de certaines régions du monde à maintenir leurs rendements agricoles vu le réchauffement climatique auront un effet structurel sur les prix de l’alimentaire. Ce ne sera évidemment pas réservé à nos amis d’outre-Atlantique mais évidemment au monde entier, qu’il soit riche ou pauvre. Allez, je me mouille: l’hyper-inflation alimentaire nous guette à plus longue échéance.
Structurellement, le paysage n’est donc pas flamboyant. On peut considérer que l’inflation à 1 ou 2% est de l’histoire ancienne et pour un bon moment. A plus court terme, 2023 sera une année de forte désinflation avec certainement des discours déflationnistes qui devraient apparaître dès ce printemps voire cet été (on prend rendez-vous!). Après le spectre de la stagflation, vous redécouvrirez celui de la crise déflationniste, aussi spectrale que le premier scénario. Le phénomène de momentum aidera énormément à ce scénario de baisse rapide de l’inflation. En gros, n’attendez plus une hausse généralisée des prix, mais une forte modération voir une stabilisation (hausse faible voir proche de 0). Mais, selon moi, ce ne sera que transitoire (Christine et Jérôme, sortez de ce corps tout de suite, il nous fait la même que vous.) À plus long terme, des “targets” à 3 ou 3,5% seront certainement étudiés et même constatés. Pour moi, ce seront les nouveaux “bottoms” structurels. Des pics inflationnistes lors de tensions géopolitiques futures ou d’événements impactants (climatiques inclus) nous feront vivre de nouveaux épisodes du type 2021/22, car si vous le comprenez bien… on est “border line” un peu partout.
Bonne semaine macro-économique à tous.