Existe-t-il une relation entre l’inflation et le niveau des dividendes ? Alors que l’inflation est au plus haut, le CAC 40 est proche de ses nouveaux sommets… Cette question interroge légitimement le public. En effet, la présence d’une inflation durable dans l’économie est le plus souvent le fait d’un manque de production des entreprises. Cela peut s’expliquer pour diverses raisons que nous développerons pas ici. De fait, la présence d’une inflation durable peut traduire l’existence d’un pouvoir de marché plus grand pour les entreprises capables de produire sans surcoûts. C’est pourquoi on pourrait supposer un lien plus ou moins explicite entre inflation et augmentation des dividendes, car les conditions de rentabilité de certaines entreprises s’amélioreraient.
Relation empirique
Au premier abord, on a représenté dans le graphique ci-dessous la variation annuelle des paiements de dividendes aux Etats-Unis (axe des abscisses) et la variation annuelle des prix (axe des ordonnées). La corrélation entre les deux variables est relativement faible (20 %), mais on observe une relation légèrement ascendante entre hausse des dividendes et hausse de l’inflation. L’explication de la variation des dividendes par l’inflation est donc à priori insuffisante.
Un lien entre le niveau de prix et le niveau du Dow Jones
S’il n’existe pas de lien clair entre la variation des dividendes et l’inflation, il existe cependant un lien entre le niveau des prix et le Dow Jones. Le graphique ci-dessous montre la comparaison du niveau du Dow Jones (axe du bas) avec le niveau de l’indice des prix pour les Etats-Unis (CPI, axe vertical). Il y a une relation essentiellement logarithme, c’est-à-dire qu’une hausse du niveau des prix s’accompagnera d’une hausse de plus en plus rapide du Dow Jones. En d’autres termes, le Dow Jones surpasse l’inflation en ce qui concerne les performances.
De plus, on voit que les grandes périodes inflationnistes sur le graphique (hausse rapide de l’indice des prix CPI) s’accompagnent le plus souvent d’une moindre hausse du Dow Jones. La corrélation entre le niveau des prix et le niveau de Dow Jones est proche de 88 % entre 1948 et 2022. Ce qui mérite d’être souligné.
Bourse et inflation
Le lien entre l’inflation et les dividendes n’est donc pas absolu, il est même relativement inexistant. Mais une relation plus intéressante émerge lorsqu’on compare la performance mensuelle moyenne du Dow Jones (lissée par une moyenne mobile sur 24 mois, en noir), et le niveau d’inflation (courbe rouge). Il y a effectivement une sensibilité entre inflation et performances boursières. Dans les années 1960 et 1970, on avait l’habitude de voir qu’une diminution de l’inflation augmentait les performances moyennes du Dow Jones.
Mais depuis les années 1980 et le choc désinflationniste, il y a une sorte de corrélation entre le Dow Jones et l’inflation. Observons notamment la synchronicité récente des deux courbes sur le graphique ci-dessus. L’inflation de ces dernières années a donc essentiellement traduit une amélioration des perspectives économiques et des résultats des entreprises.
En revanche, si le niveau d’inflation devient substantiellement trop haut (au-delà de 8 % à 10 %, voir le premier graphique), alors la relation inflation/bourse peut éventuellement s’inverser. En d’autres termes, une inflation purement liée à la hausse des coûts des entreprises, qui implique un repli de la demande par le biais d’une récession, est néfaste pour la rentabilité des firmes.
En bref, une inflation sans récession est bénéfique aux entreprises. Elles vendent autant, plus cher. Le seul moment où l’inflation devient dangereuse pour la bourse est le moment à partir duquel la hausse des coûts devient insupportable et se traduit par une récession. Pour le moment donc, le lien entre inflation et bourse est plutôt positif. Il viendrait à s’inverser en cas de récession.
Des causes endogènes à l’inflation actuelle ?
L’inflation actuelle résulte d’une dégradation durable du lien entre actifs des entreprises et production effectivement réalisée. L’importance de la création monétaire, et la faiblesse des taux d’intérêts réels ces dernières années, a mené à un recul des investissements productifs. Dans le même temps, la valeur des actifs dans le bilan des entreprises s’est gonflé comme le souligne très exactement Jacques de Larosière dans son dernier ouvrage. Il est donc évident que le moindre choc de demande positif (ou d’offre négatif) provoque un important dysfonctionnement du système productif. Ce qui explique par là même l’inflation actuelle.
L’inflation actuelle traduit avant tout un soulagement du système productif, qui découragé à ne pas investir réellement ces dernières années, se retrouve soudainement pris dans une spirale de rareté. On comprend donc pourquoi il y a une relation synchrone entre inflation et bourse ces dernières années. Sans ce besoin « endogène » de retrouver des prix plus hauts, l’inflation et la bourse ne verraient pas leur niveau croître dans le même temps. Mais la hausse des résultats des entreprises malgré l’inflation entraine un endettement des ménages (en tous cas aux Etats-Unis), et les perspectives de la demande sont à leur tour dégradée. Le cycle économique s’inverse, mais ces mécanismes longs se manifestent au fur et à mesure.