Dans un précédent article (Le protectionnisme va-t-il vraiment faire son retour? – Youtrading FR) nous nous sommes interrogés sur un éventuel retour du protectionnisme dont on peut percevoir certains signes avant-coureurs.
Il faut dire que le protectionnisme présente à première vue de nombreux avantages :
Le protectionnisme permet de protéger et de sauvegarder l’emploi par l’incitation à la consommation de produits locaux ou nationaux. Cela permet donc de créer des emplois puisque la production nationale est stimulée.
Par exemple, protéger les jeunes industries innovantes sur le plan écologique permet un développement serein, non soumis aux tensions de la concurrence internationale, et protège les droits sociaux des salariés. La France se verra donc dotée d’industries de pointe capables de produire des technologies et des marchandises écologiquement et socialement responsables. La France milite pour cibler les aides existantes (comme les bonus écologiques) à l’achat de voitures électriques pour qu’elles ne profitent pas à l’importation de véhicules chinois.
Le protectionnisme permet aussi aux industries naissantes de se développer pour ensuite lutter à armes égales face aux industries déjà bien implantées.
Airbus n’aurait ainsi probablement jamais pu exister si l’Union européenne n’avait pas encouragé son développement par des mesures protectionnistes. L’Union européenne s’est donc construit un avantage comparatif. La France avait réservé le marché national à Airbus, les Etats-Unis à Boeing.
On peut penser aussi aux mesures de protection dont bénéficie l’agriculture pour assurer l’autosuffisance alimentaire, par exemple. De même, la sidérurgie, l’aviation… qui sont indispensables à la défense nationale.
Au nom de la souveraineté nationale, l’intérêt de la Nation implique la protection de certains secteurs d’activités indispensables à l’indépendance nationale (l’agriculture pour nourrir la population, l’armement pour la défendre, la production culturelle…). Ainsi, l’Union Européenne, à l’initiative de la France, impose des quotas de films et de musiques européennes à la télévision et sur les ondes pour préserver la culture des pays européens face à l’invasion des produits culturels américains.
De même, la France achète des avions Dassault, des chars ou des missiles français (Thales, Lagardère…) afin de conserver une industrie nationale de l’armement.
Ce qui découle du point précédent, c’est la prévention du « dumping ». En effet, la pratique du dumping qui consiste à exporter à des prix trop bas ou à contourner les règles de l’environnement ou du droit social pour rester compétitif sur le marché extérieur, est souvent mise en échec par les politiques protectionnistes. Ce dumping est une pratique anti-concurrentielle dans la mesure où elle permet, par des moyens abusifs, une compétitivité inégalable.
C’est le cas en particulier du Bangladesh qui a spécialisé sa production en matière textile, au point de devenir en quelques années le deuxième exportateur mondial. Cette spécialisation a été réalisée au moyen d’une attractivité obtenue par des droits sociaux très faibles : salaire horaire de 0,11 €, normes environnementales inexistantes, syndicats interdits, jusqu’aux normes de sécurité élémentaires des sites de production non respectées, qui a provoqué le drame dit du « Rana Plaza », du nom de cet immeuble de production textile qui s’est effondré, provoquant la mort de 1134 ouvriers.
Le protectionnisme peut se justifier à l’encontre de pays ne respectant pas certaines normes environnementales ou sociales. Par exemple, bloquer l’importation de produits fabriqués par des enfants ou des prisonniers, mettre en place un embargo sur certaines productions telles que le bois tropical non certifié. Autre exemple : Bercy voudrait durcir les normes écologiques à l’entrée du marché unique pour exclure certains biens fabriqués dans des conditions bien plus polluantes que celles imposées aux usines du Vieux continent.
Le protectionnisme fait qu’un pays devient moins dépendant des autres nations pour la fabrication et la disponibilité d’un produit. On l’a vu pendant la crise sanitaire lorsque la France n’avait pas assez de masques, de gel, de gants, de blouses ou plus récemment de Doliprane et était totalement dépendante de la production des autres pays (et notamment de la Chine).
Le protectionnisme permet de réduire la pollution (liée aux échanges commerciaux de marchandises à travers le monde). Il permet aussi de protéger les consommateurs au nom du principe de précaution (comme pour le bœuf aux hormones, le poulet élevé au chlore, les OGM).
Selon la théorie du public choice, le protectionnisme offre aussi aux hommes politiques l’occasion de gagner des voix.
Néanmoins, le protectionnisme a de nombreux inconvénients :
Tout d’abord, il ne peut pas être mis en place sur le long terme, il s’agit uniquement d’une politique transitoire. En effet, les prix, en présence de protectionnisme, n’étant plus sous l’influence de la concurrence internationale, vont naturellement augmenter. Aux Etats-Unis, l’augmentation des droits de douane entraînant une hausse de 10% du prix de l’acier chinois aurait pour conséquence une hausse des prix dans de nombreux secteurs. Le secteur des produits métalliques subirait une hausse de 4,2 % des coûts de production.
En d’autres termes, la hausse des coûts de production des produits métalliques serait presque la moitié (en point de pourcentage proportionnellement au coût initial) de la hausse du prix de l’acier. Six autres secteurs seraient touchés (dont les matériels électriques, les véhicules à moteurs…), ce qui montre le large et fort impact d’une hausse des droits de douanes sur les prix. La hausse des coûts de production engendrée aurait pour conséquence une hausse des prix de vente. Ainsi, l’impact de l’augmentation des droits de douanes serait fort et coûteux pour les producteurs et pour les consommateurs.
Un autre inconvénient, et non des moindres, est la baisse de la variété des produits disponibles avec un risque de non satisfaction des besoins des consommateurs (et des producteurs) en termes de qualité ou de prix. Beaucoup de produits venant de l’extérieur sont des produits de base. Si nous devons les produire nous-mêmes, cela coûtera plus cher donc les prix vont augmenter.
Le protectionnisme est aussi synonyme de faible concurrence. Il fait stagner l’innovation. Les produits disponibles sont moins innovants et de moins bonne qualité.
Par exemple, le protectionnisme pratiqué au Brésil dans les années 1980-1990 pour tenter de développer une production informatique brésilienne a été un échec : ces entreprises n’ont jamais réussi à se développer suffisamment pour concurrencer les leaders du marché. Cela a entraîné des conséquences négatives pour le reste de l’économie brésilienne : les entreprises ont dû s’appuyer sur du matériel informatique obsolète, ce qui a freiné leur productivité, donc leur compétitivité-prix, leur capacité d’innovation, et au final la croissance économique brésilienne.
On peut alors redouter un risque de vieillissement du système productif et un retard technologique…
Les risques de représailles sont très forts. Si l’on pratique le protectionnisme vis-à-vis des producteurs d’un pays, il existe de gros risques que le pays prenne lui aussi des mesures protectionnistes en retour, ce qui conduit à pénaliser les entreprises exportatrices nationales. Si les pays ripostent à chaque nouvelle mesure protectionniste par d’autres mesures protectionnistes, il existe des risques de « guerre commerciale » se traduisant par une succession incontrôlée de mesures protectionnistes, aboutissant à un recul significatif des échanges et de l’internationalisation de la production. C’est le cas de la Chine et des Etats-Unis depuis 2018.
En raison de la fragmentation de la chaîne de valeur à l’échelle mondiale, les différentes opérations du processus de production sont de plus en plus dispersées dans différents pays. En conséquence, pour obtenir leur produit final, les entreprises importent de plus en plus de produits semi-finis ou de composants en provenance de l’étranger.
Au final, les mesures protectionnistes n’ont que pour effet d’augmenter le coût de ces composants ou de ces produits semi-finis pour les producteurs nationaux, d’où une hausse des prix et une baisse du pouvoir d’achat.
Le protectionnisme signifie aussi moins de débouchés extérieurs pour les entreprises. Les carnets de commande sont moins remplis, l’activité ralentit. Les profits baissent et les investissements également. Le chômage augmente. A plus grande échelle, les importations des uns sont les exportations des autres. Cela risque de ralentir le commerce mondial et la croissance mondiale.
Pour éviter les inconvénients de ces deux politiques, la plupart des pays adoptent des politiques mixtes. Ils favorisent tantôt le libre-échange (dans les secteurs où ils disposent d’un avantage), tantôt le protectionnisme (dans les secteurs encore en développement ou considérés comme stratégiques). D’ailleurs, les économistes sont majoritairement critiques envers les mesures protectionnistes. Les inconvénients l’emportent dans la plupart des cas sur les avantages. Mais la raison guidera-t-elle les choix politiques? On peut en douter!