Dans l’univers économique américain, les géants de la technologie, connus sous le nom de GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), ont établi une domination incontestable sur de nombreux secteurs d’activités. Leur pouvoir économique, leur influence et leur emprise sur la pensée des utilisateurs ont suscité à la fois admiration et inquiétudes. Dans un récent article intitulé « GAFAM: Les géants américains trustent l’économie », nous avons exploré en détail leur impact sur l’économie mondiale (En voici le lien ci-joint: https://youtrading.com/fr/gafam-les-geants-americains-trustent-leconomie/ ). Mais, au-delà de leur emprise monopolistique, une autre facette de leur influence se dévoile : celle qu’ils exercent sur les indices boursiers. Ces géants technologiques représentent une part importante de la capitalisation boursière des indices tels que le NASDAQ 100, ce qui soulève des interrogations sur les conséquences potentielles d’un démantèlement de ces entreprises. Dans cet article, nous examinerons plus en détail leur impact sur les indices boursiers et leur influence grandissante et dangereuse sur la sphère financière mondiale.
Parmi les 100 sociétés composant le NASDAQ 100, seulement 7 entreprises pèsent plus de 50% de la capitalisation totale, soit 10 000 milliards de dollars. Sommes-nous vraiment conscients de la grandeur de ces chiffres? Ça donne le tournis, n’est ce pas? Eh bien, nous avons le droit de penser que cela donne, aussi, des vertiges aux autorités américaines. Car un démantèlement de ces entreprises aurait certainement un impact gigantesque sur la sphère financière mondiale. On peut même parler de cataclysme, de raz de marée voire de tsunami.
Ces sociétés, à savoir Microsoft, Apple, Alphabet (Class A et Class C), Amazon, Nvidia, Meta Platforms et Tesla, sont devenus des mastodontes boursiers. Eh oui, L’acronyme GAFAM a bien mal vieilli ces derniers temps, car certaines de ces entreprises ont changé de nom et de nouvelles ont rejoint leurs rangs récemment. La montée en puissance de ces géants technologiques est spectaculaire, avec des augmentations de valorisation boursière colossales en un temps record. Ainsi, Tesla fait partie depuis quelques mois des mastodontes de la place new-yorkaise. Plus près de nous, Nvidia est passé de la 5ème à la 3ème place en une nuit, celle du 24 mai 2023, avec une augmentation de valorisation de 220 milliards de dollars. C’est, certainement, la plus grosse augmentation de valorisation d’une entreprise cotée en moins de 24 heures de toute l’histoire de l’humanité. Vous commencez à mieux percevoir le danger que cette croissance fulgurante soulève sur les conséquences d’un éventuel découpage de ces entreprises en entités plus petites.
Classement avant l’annonce des résultats de Nvidia du 24 mai 2023.
Mais revenons à nos moutons. Avec les annonces récentes, il est de plus en plus crucial de prendre en compte le risque de scission des entreprises par le biais d’une législation antitrust, étant donné leur nombre croissant. Il est vrai que diviser ces entreprises en plusieurs entités plus petites (avec des capitalisations de plusieurs centaines de milliards de dollars tout de même) n’altère pas vraiment la valeur intrinsèque de ces nouvelles entités économiques. Du point de vue comptable, cela ne change pas grand-chose. Par contre, sur le plan de la stratégie, des équipes décisionnaires et de la création d’un marché plus concurrentiel avec des barrières à l’entrée qui se lèvent… là, c’est différent. Très différent, lisez plutôt la suite…
Tout d’abord, en ce qui concerne la stratégie, il est évident que séparer certaines branches de l’arbre… ne créera pas vraiment autant d’arbres que de branches coupées. Il existe des stratégies globales au sein de ces conglomérats qui font que certaines activités encore en développement pourraient tout simplement remettre en question leur existence. Ainsi, les projets les plus coûteux en termes de liquidités seraient rapidement abandonnés ou , au mieux, anéantis sur le marché boursier. Il existe souvent une interdépendance entre ces projets, et une fois séparés, ils risqueraient de perdre leur sens ou du moins leur cohérence. Dans cette perspective, un argument de poids plaide en faveur de ces géants économiques.
Ensuite, se pose un défi majeur lié au recrutement de dirigeants à la hauteur des enjeux. Car, ne nous y trompons pas, ces entreprises sont dirigées par des hommes et des femmes exceptionnels. Trouver autant de talents dans le monde pour diriger chacune des entités créées serait sans aucun doute le plus grand défi à relever suite à un démantèlement d’une telle envergure. Et il ne faut pas croire que ce sont les équipes internes qui pourraient relever ce défi. Il suffit de regarder les cas de Renault et de Carlos Ghosn, ainsi que celui d’Atos et de Thierry Breton en France. Deux hommes charismatiques qui sont partis sans préparation de la succession… Cinq ans plus tard, Renault vaut encore un tiers de sa valeur passée, tandis qu’Atos a perdu huit fois sa valeur en quatre ans et est en train d’être démantelée morceau par morceau à prix cassé. Vous pouvez deviner que la division des activités de ces géants américains pourrait clairement être préjudiciable à plus d’un titre.
De plus, ce problème ne touche pas seulement les équipes dirigeantes. Lors de bouleversements de cette nature, une fuite des talents est souvent constatée en raison d’un environnement soudainement anxiogène. Les restructurations nécessaires entraînent généralement un fort taux de rotation du personnel. De plus, les opportunistes qui rôdent autour de ces entreprises blessées ne manqueront pas de profiter de cette occasion tant attendue et finalement inespérée. Les meilleurs partiront ou verront leur salaire augmenter considérablement.
Enfin, nous avons évoqué l’idée selon laquelle rendre le marché plus concurrentiel pourrait avoir des conséquences négatives pour certaines divisions scindées. Il est vrai que nous sommes étroitement liés aux aléas des deux paragraphes précédents. Toutefois, la concurrence, qui est l’un des éléments essentiels d’une économie capitaliste saine, obligerait la nouvelle entité à remettre en question l’ensemble des acteurs. Ces acteurs, qui sont trop habitués à l’absence de concurrence, se retrouveraient face à de nouveaux défis. Le confort acquis au fil des années constituerait certainement un frein à l’adaptabilité nécessaire pour faire face à ces nouvelles contraintes économiques. Une dégradation des valeurs serait donc assez significative compte tenu du niveau actuel de capitalisation. Mais rapidement, les champions de demain prendraient la relève avec une émulation encore plus forte et une revalorisation rapide de ces nouvelles pousses à la hauteur des anciennes branches. Il ne s’agirait alors que d’un simple transfert (douloureux) de richesse d’une valeur à une autre sur la cote américaine.
Voilà pour la mutation interne et les problématiques qui en découlent. Cependant, du point de vue politique et financier, d’autres enjeux commencent à susciter une réelle inquiétude, tant pour les États-Unis que pour la planète entière. Comme vous l’avez vu dans la première partie de cet article, les sept plus grandes capitalisations boursières du Nasdaq100 représentent plus de 50 % de cet indice. La concentration à un tel niveau présente un danger évident, notamment dans le scénario que nous avons précédemment décrit concernant les enquêtes et les possibles sanctions antitrust. Ce risque est d’autant plus préoccupant aux États-Unis, car l’ensemble du système de retraite du pays est étroitement lié à la Bourse de New York, que ce soit le NYSE ou le NASDAQ. Il est, bien sûr, hors de question de remettre en cause la qualité et la performance de l’économie américaine, qui reste indéniablement prédominante. Cependant, il est crucial de comprendre que cette économie dynamique repose sur la concurrence. Avec ces géants, nous sommes confrontés justement à un problème de concurrence, et cette concentration monopolistique risque de fragiliser le système dans son ensemble. Par conséquent, il n’est pas impossible que, malgré les inconvénients, un démantèlement soit déclenché, ce qui provoquerait inévitablement une forte secousse sur le marché boursier.
N’oublions pas que les deux grands épisodes de dépression du Nasdaq se sont produits après une période d’euphorie boursière même si tout le monde le nie, nous y sommes encore actuellement… pour combien de temps encore? Le premier de ces cataclysmes, au début du XXIe siècle, était lié à des raisons microéconomiques: la surévaluation délirante des entreprises Internet totalement fictives. Le second, en 2008, était d’ordre macroéconomique avec la crise financière. Le risque dont nous parlons ici réside plutôt dans la combinaison de ces deux éléments: micro et macroéconomiques. Sur le plan microéconomique, nous l’avons expliqué précédemment de manière claire. Sur le plan macroéconomique, on entend de plus en plus de spécialistes dénoncer la disparition de la concurrence dans de nombreux domaines. L’augmentation des prix que nous avons constatée cette année, notamment, n’est pas uniquement due à la hausse des prix des matières premières. Nous avons également constaté que les résultats de certaines entreprises étaient particulièrement impressionnants, notamment dans le secteur agroalimentaire. Vous pouvez être assuré que les gouvernements occidentaux se penchent sérieusement sur cette question et qu’ils ne resteront pas sans réponse. Ainsi, il ne faut pas négliger la possibilité d’un mouvement antitrust qui ne viserait pas directement les entreprises mentionnées précédemment mais un secteur stratégique qui a abusé de la situation inflationniste actuelle. Vous connaissez le principe de la tâche d’huile : la pression monte contre les conglomérats inéluctablement.
Ainsi, la sphère financière aux États-Unis serait particulièrement affectée, avec le Nasdaq100 qui subirait cette tempête anti-trust de plein fouet. Mais, il ne faut pas oublier le SP500 et le Dow Jones, qui sont composés en totalité ou en partie de ces mêmes sociétés. Ainsi, le problème concerne l’ensemble de la place new-yorkaise. Mais ce n’est pas tout, la situation est encore pire que ce que vous pensez.
En effet, aujourd’hui, toute une série de nouveaux actifs financiers se présente à nous, notamment ce que l’on appelle les ETF (Exchange-Traded Funds). Pour simplifier, ce sont des actifs synthétiques regroupant différentes actions autour d’une même thématique. Certains sont des ETF répliquant nos fameux indices, tandis que d’autres sont axés sur des secteurs ou des thématiques spécifiques. Cependant, il se trouve que les gestionnaires d’ETF, pour des raisons de liquidité de leurs actifs cotés, ont tendance à inclure un peu de tout, d’Apple à Microsoft en passant par Facebook, dans leurs compositions en expliquant qu’il y a une réelle pertinence dans ces choix parfois très douteux. Il est difficile de donner des chiffres précis sur la quantité ou le pourcentage concerné, mais il est clair que ce phénomène est d’envergure et qu’il alimente, de surcroît, la hausse des cours de ces entreprises.
Si vous ajoutez à cela que de plus en plus d’indices sont créés dans le monde, et que les créateurs d’ETF ont déjà créé tous les trackers correspondants, vous commencez à deviner que le risque dépasse largement la place new-yorkaise. Combien de particuliers dans le monde détiennent dans leur portefeuille un ETF répliquant le fameux MSCI World, censé représenter l’ensemble du monde, comme son nom l’indique, alors que ce n’est absolument pas le cas ? Les valeurs américaines y sont omniprésentes et sur-représentées. Vous devinez sans mal lesquelles en dominent le classement. Mesdames, Messieurs, la situation est alarmante. Où que vous alliez investir, vous retrouverez toujours du Apple ou du Microsoft dans ces trackers. Bientôt, on vous expliquera qu’il faut ajouter les GAFAM dans les indices européens.
Au-delà du réel intérêt d’avoir des ETF dits diversifiés dans votre portefeuille, posez vous les bonnes questions. Et prenez acte des dangers qui vous guettent au détour d’une mauvaise allocation. Car je vous le rappelle, le phénomène de concentration que nous venons de décrire est d’autant plus grave que la baisse de l’ensemble des ETF provoquerait une baisse de l’ensemble des valeurs composants ces mêmes actifs (en complément). Ainsi, juste par phénomène mécanique de ces paniers sibyllins, nous risquerions un effondrement mondial des marchés financiers à cause de 7 valeurs américaines trop grosses et peu respectueuses de la concurrence.
Bons investissements à tous.