Dans l’univers économique des États-Unis, les trusts occupent depuis longtemps une place controversée. Ces géants de l’industrie, souvent désignés sous le terme de « Big Tech » tels que Facebook, Google, Amazon et Apple, suscitent à la fois admiration et inquiétudes. Leur influence massive, leur pouvoir économique, leur emprise sur la pensée-même de leurs utilisateurs ainsi que leur domination sur les marchés financiers ont attiré l’attention des autorités de régulation, des défenseurs de la concurrence mais aussi du pouvoir politique. Les enquêtes antitrust se multiplient. Les appels au démantèlement retentissent ça et là. Les débats sur la nécessité de réduire leur emprise monopolistique sont de plus en plus fréquents. Découvrons d’un peu plus près le paysage de ces trusts américains, leurs implications économiques et les mesures qui pourraient être prises pour rétablir un équilibre concurrentiel décent. Alors que ces géants continuent de dominer l’économie, l’heure est venue de se pencher sur leur pouvoir et leur impact sur le paysage économique américain sans oublier leur influence sur la sphère financière mondiale.
Les tous premiers trust américains ont émergé au cours de la période de l’ère industrielle, où des entreprises puissantes ont consolidé leur domination sur différents secteurs économiques. Ainsi, des géants tels que Standard Oil et American Tobacco Company ont forgé des empires monopolistiques, contrôlant une part gigantesque de la production et de la distribution de leurs industries respectives: le pétrole et le tabac en l’occurrence.
Depuis leur démantèlement lors de l’année 1911, peu de trusts sont apparus dans l’économie américaine. C’est l’émergence d’internet dans les années 90 et l’évolution technologique de la toile qui a donné naissance à de nouveaux acteurs sur-dominants. Les entreprises comme Amazon, qui a révolutionné le commerce en ligne, Microsoft qui écrase le marché du software et Google qui ultra-domine le marché de la recherche en ligne, ont atteint une position de quasi-hégémonie dans leurs secteurs respectifs. Leur croissance rapide et leur capacité à innover ont permis de consolider leur influence sur le marché jusqu’à avoir une position monopolistique dans leur domaine de prédilection.
Mais voilà, à mesure que la taille et le pouvoir de ces trusts ont augmenté, les critiques se sont intensifiées. Les préoccupations concernant leur domination monopolistique, l’exploitation des données des utilisateurs, les acquisitions de concurrents et les abus de position dominante devenus monnaie courante ont alimenté les appels à une réglementation plus stricte. Avec peu de succès, il faut bien en convenir. Mais depuis quelques années l’Europe inflige, quant à elle, des amendes aux montants impressionnants à nos “bienfaiteurs” américains. A vrai dire, hormis le démantèlement de AT&T en 1982, la seule entreprise qui a subi le courou des lois américaines antitrust a été Microsoft en 2001. La méga-firme avait été condamnée pour des pratiques anticoncurrentielles visant à maintenir son monopole sur les systèmes d’exploitation pour PC. Mais Microsoft n’a jamais été démantelé, l’entreprise n’a fait l’objet que de simples restrictions et mesures correctives pour promouvoir une plus grande concurrence… Et puis c’est tout. Depuis, vous l’aurez remarqué, l’entreprise se porte comme un charme en développant des situations de domination dans d’autres secteurs adjacents à son cœur d’activité historique.
Ainsi, les grandes entreprises technologiques sont accusées de limiter la concurrence en érigeant des barrières à l’entrée pour les nouveaux acteurs, ce qui nuit à l’innovation et à la diversité du marché. Leurs vastes réserves de données et leur capacité à exploiter celles-ci pour façonner le comportement des consommateurs soulèvent également des préoccupations concernant la vie privée et la protection des données. D’ailleurs, Facebook renommée depuis peu Méta Platforms vient se faire prendre la main dans le pot de confiture. L’autorité irlandaise de protection des données a condamné le groupe de Mark Zuckerberg à une amende de 1,2 milliard d’euros. Une grosse tuile? Mouais, juste une dizaine de jours de bénéfices et un cours de bourse qui n’a même pas bronché. Mais, l’Europe est à l’initiative et sert la vis. Du côté US, la politique de l’autruche est vraiment de mise. Mais il semble que l’on avance… lentement.
Face à ces préoccupations croissantes, les autorités de régulation de l’Oncle Sam ont intensifié leurs efforts pour examiner les pratiques commerciales des trusts américains. Des enquêtes antitrust approfondies ont été lancées par des organismes tels que la Federal Trade Commission (FTC) et le Department of Justice (DOJ) pour évaluer si ces entreprises ont enfreint les lois antitrust en abusant de leur position dominante. Pour cela, l’arsenal juridique de la FTC se compose essentiellement de 3 textes vieux de plus d’un siècle mais dont la rédaction a été particulièrement bien pensée.. pour l’époque!!! Ces lois antitrust sont le Sherman Antitrust Act de 1890, le Clayton Antitrust Act de 1914 et le Federal Trade Commission Act de 1914 (créateur de l’organisme susnommé: le FTC).
Le Sherman Antitrust Act interdit les pratiques anticoncurrentielles, telles que les ententes de fixation des prix, les monopoles et les accords qui restreignent la concurrence. Il vise à promouvoir la concurrence et à protéger le consommateur final. Le Clayton Antitrust Act complète le Sherman Act en interdisant certaines pratiques anticoncurrentielles spécifiques, telles que les fusions ou acquisitions qui réduisent sensiblement la concurrence ou créent des monopôles de fait. Cela vous semble faible? Perception très franco-française de la chose. Ces textes suffisent largement quand on veut VRAIMENT faire ce qu’il faut.
C’est grâce à ce cadre juridique vieillissant que des poursuites judiciaires ont été finalement engagées contre certaines des grandes entreprises nommées plus haut, comme cela a été le cas avec l’affaire antitrust contre Google en 2020. En effet, le groupe Alphabet croule sous les procédures depuis le début de cette décennie. Outre le gouvernement américain, c’est de l’autre côté de l’atlantique, chez nous, que l’entreprise est soumise à une enquête de la Commission Européenne depuis mars 2022 pour pratiques anticoncurrentielles sur l’affichage publicitaire en ligne. Elle a également reçu un avertissement du régulateur antitrust allemand début janvier 2023 concernant ses pratiques en matière de collecte des données. Ces actions en justice visent à établir si les entreprises ont illégalement maintenu leur monopole et si des mesures correctives sont nécessaires.
C’est comme cela que, dans certains cercles, la proposition de démantèlement des trusts américains gagne du terrain. Les partisans de cette idée soutiennent que la séparation des activités des grandes entreprises favoriserait une concurrence saine et permettrait aux entreprises plus petites et émergentes de prospérer. Ils mettent en avant l’exemple historique du démantèlement de Standard Oil en 1911 comme un moyen de restaurer une concurrence équitable. Un peu vieillot, c’est vrai. Mais ce fut bénéfique par la suite, il faut bien en convenir. Évidemment, les opposants à cette idée, dont on peut tout de même douter quelques secondes de leur impartialité, soulignent les défis pratiques et les conséquences imprévisibles d’un tel démantèlement. Ils mettent en avant les avantages économiques et l’innovation que ces entreprises ont apportés, et soulignent que d’autres formes de régulation pourraient être plus appropriées pour réduire les abus et promouvoir la concurrence. Oui, d’accord. Mais l’ont ils fait jusqu’à maintenant? Nous avons la réponse.
Il n’en est pas moins que les nuages s’amoncellent au-dessus de la tête des trusts américains, avec des enquêtes antitrust en cours et des débats sur la réglementation appropriée. Les décisions prises dans les prochaines années auront un impact significatif sur l’économie et sur la manière dont ces entreprises dominent les marchés. Il est essentiel de trouver un équilibre entre l’encouragement à l’innovation et à la concurrence, tout en évitant les abus de pouvoir et la suppression de la diversité économique. L’avenir des trust américains est en jeu, et il revient aux décideurs de trouver des solutions qui favorisent à la fois la prospérité économique et l’intérêt public. Mais il existe un frein majeur à des avancées significatives sur ce sujet: le trust de ces mêmes compagnies sur la finance mondiale. Un grand et vaste sujet que l’on traitera dans un autre article, ces prochains jours.