Dans notre précédent article (Faut-il annuler la dette publique (1)? – Youtrading FR) nous avons planté le décor de la dette.
A présent, la question à se poser concerne les arguments en faveur et en défaveur d’une annulation de la dette.
Quels sont donc les arguments en faveur de l’annulation de la dette ?
L’annulation de la dette semble être alors la solution miracle ! En février 2021, plus de 100 économistes, dont Thomas Piketty, de 13 pays ont signé une pétition dans le monde appelant la BCE à annuler les dettes publiques qu’elle détient. Quelques figures politiques ont soutenu la démarche : Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et, plus étonnant, Alain Minc (ancien haut fonctionnaire influent) ou encore Guillaume Pelletier.
La dette de la France n’est plus seulement détenue par des investisseurs privés. Depuis 2015, la BCE et les banques centrales nationales (comme la Banque de France ou la Bundesbank en Allemagne) rachètent les titres de dette des Etats auprès des acteurs privés (banques, assureurs, fonds d’investissement…). Au total, près de 3 245 milliards d’euros d’emprunts ont ainsi été rachetés, dont 768 milliards en lien avec la crise sanitaire liée au Covid-19.
Or les banques centrales nationales (BCN) ont pour unique actionnaire leur Etat. Quant à la BCE, il s’agit d’une filiale des BCN. Cela veut donc dire que nous devons désormais une certaine part de notre dette à nous-mêmes. Et c’est ce qui fait dire à certains économistes que nous pourrions donc décider d’effacer notre propre ardoise. La manœuvre offrirait à la France un rabot de près de 626,7 milliards d’euros, soit près d’un quart de la dette.
Ensuite, pour les partisans de l’annulation, on retrouve l’argument selon lequel les banques centrales ne peuvent pas faire faillite. Ce sont en effet ces institutions qui créent la monnaie. Par définition elles ne peuvent donc pas manquer d’argent. En réalité, l’effacement de la dette ne serait pas une opération neutre car les banques centrales versent des dividendes à leurs Etats actionnaires. Or, si les dettes sont annulées, elles ne seront plus en mesure de le faire. Pour être plus précis, les partisans de l’annulation de la dette suggèrent que la Banque de France peut faire des pertes. Cela n’aurait donc pas d’importance car elle ne fera pas faillite. En revanche, avec des fonds propres négatifs, elle ne versera plus annuellement à l’Etat les milliards d’impôts sur les sociétés et dividendes. Il faudra trouver cet argent ailleurs : en 2019, cette manne financière avait rapporté 6 milliards d’euros à la France, – une somme non négligeable quand on sait que l’Etat déploie des trésors d’imagination pour réaliser des économies.
Autre argument que l’on retrouve : la dette publique des Etats de la zone euro n’a pas intrinsèquement vocation à être remboursée car l’Etat a une durée de vie a priori infinie et via les titres de dettes publiques qu’il émet, il peut emprunter à droite pour rembourser à gauche.
En outre, si la dette publique détenue par la BCE n’a pas intrinsèquement vocation à être remboursée, alors pourquoi ne pas tout simplement l’annuler ? Cette annulation est possible car elle ne coûte rien à la BCE. Il s’agit juste d’un jeu d’écriture comptable : une dette que les Etats ont sur eux-mêmes n’est pas une dette.
Par ailleurs, annuler la dette publique, c’est également libérer les acteurs économiques de la crainte d’une future augmentation d’impôts, pour les encourager à investir plutôt qu’à épargner. Des investissements massifs seront nécessaires après les dépenses liées à la pandémie. La perspective d’un remboursement de la dette dans un avenir proche est donc impossible ; une autre solution doit être trouvée. C’est ce que pensent des économistes comme Gaël Giraud et Jézabel Couppey-Soubeyran. L’espace budgétaire libéré permettra de financer les transitions écologiques.
On peut aussi ajouter le fait que depuis François Ier, la dette n’a jamais été remboursée. La France est « éternelle », ce n’est pas nos petits-enfants qui la paieront parce qu’ils la rembourseront en émettant une nouvelle dette, d’autant plus que le coût moyen de la dette est passé de 6,7% à 3,3% en 2011 et 1,3% en 2020. Même si la dette publique a très fortement augmenté, elle coûte bien moins cher aujourd’hui or, on l’a dit, l’Etat emprunte pour financer ses dépenses, donc ce n’est pas si grave !
En outre, la BCE (qui a temporairement suspendu les règles du pacte de stabilité et de croissance selon lequel les pays ne doivent pas dépasser 60% du PIB de dette publique et 3% du PIB de déficit public) agit selon le « quoi qu’il en coûte » pour éviter une nouvelle crise des dettes souveraines. C’est un peu contradictoire avec l’argument de contenir la dette car un niveau trop élevé serait insoutenable.
Quels sont, à l’inverse, les arguments s’opposant à l’annulation de la dette ?
Pour d’autres (et même parfois à gauche !), l’annulation de la dette détenue par les banques centrales n’aurait aucun effet. Pire, elle serait contre-productive. Ainsi, les rachats massifs des emprunts opérés par les banques centrales permettent de maintenir les intérêts au plus bas, voire en-dessous de zéro. La France a en effet pu emprunter à des taux négatifs en 2020, ce qui veut dire que les marchés financiers sont prêts à payer pour prêter leur argent. Mais il est vrai qu’aujourd’hui la situation des taux n’est plus du tout celle de 2020…
Autre idée : la dette dont il est question est la propriété de l’Eurosystème stricto sensu, et non de la BCE, ce qui signifie qu’elle appartient à 100 % aux États membres par l’intermédiaire de leurs banques centrales nationales. Annuler quelque chose qui appartient à soi-même est un non-sens et relève de la simple écriture comptable…
Résultat : la dette publique, bien que grandissante, coûtait de moins en moins cher à l’Etat… tant que les taux étaient autour de zéro. D’après La Croix, « la France ne devait ainsi payer que 35,8 milliards d’euros d’intérêts en 2020 ». C’est 10 milliards de moins par rapport à une décennie plus tôt. Certains économistes pensaient même qu’il fallait en profiter pour s’endetter davantage. Aujourd’hui, le cout annuel de la dette a nettement augmenté sous la pression des taux d’intérêt. Selon l’Agence France Trésor, la charge budgétaire de la dette est prévue à 51,2 milliards d’euros en 2022
Ce n’est pas tout : pour beaucoup d’experts, le choix de l’annulation conduirait aussi à priver les Etats européens de ces facilités de financement. Un éventuel effacement de la dette, même cantonné aux seules créances détenues par les banques centrales, pourrait braquer les investisseurs privés. « La raison pour laquelle les taux d’intérêts sont à zéro, c’est parce que le marché financier est absolument persuadé que cette dette sera remboursée. […] Donc si cette dette n’est pas remboursée, on n’aura plus cette possibilité dans le futur », avait alors averti le Prix Nobel d’économie Esther Duflo.
Une perspective qui pourrait conduire au scénario du pire. « Si demain les investisseurs refusent d’acheter nos titres de dette, alors nous ne pourrons plus rembourser nos emprunts déjà contractés. Car chaque année, nous payons nos dettes avec de nouveaux crédits », rappelle François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes et président de l’association Finances publiques et économie (Fipeco).
Pour prolonger la réflexion, il existe (encore) un débat sur la possibilité légale d’effacer la dette ! Selon Christine Lagarde, ce n’est pas légal d’effacer une dette publique. Ce serait une violation du traité de Lisbonne qui interdit strictement le financement monétaire des Etats. Même son de cloche pour Agnès Bénassy-Quéré. Les pro annulation sont moins catégoriques mais reconnaissent que ce serait compliqué. Il faudrait réécrire les textes et exiger que tous les pays valident ce choix… sauf que tous les pays ne sont pas égaux face à la dette publique. Autrement dit, ce serait compliqué voire impossible. L’Allemagne y est d’ailleurs opposée. Elle demeure traumatisée par l’inflation des années 20-30 (les Allemands payaient leur pain avec des brouettes de billets). Berlin a toujours refusé que les Etats de la zone euro puissent se financer directement auprès des banques centrales.
Pour d’autres, il serait curieux d’annuler la dette publique détenue par les banques centrales alors que la Banque de France en détient 25 %, banque qui appartient à… l’Etat et à qui elle verse ses profits. L’Etat devrait alors la renflouer du même montant. Quel intérêt ?
Encore plus étrange : vouloir annuler une dette qui serait un problème… pour pouvoir se réendetter et faire la « transition écologique », qui serait une « bonne dette » ? Aujourd’hui nous hibernons, la dette Covid assure la couverture chauffante qui maintient en vie – économiquement – des entreprises et des ménages qui seraient condamnés par la pandémie ; c’est protéger le capital productif, le capital humain qui, sinon, manquera demain. C’est du moins ce que pense Edwin Le Héron, professeur des universités à Sciences po Bordeaux.
Pour conclure, on entend souvent des arguments plus traditionnels sur le non-remboursement de la dette : risque d’inflation, image détériorée vis-à-vis des investisseurs, rupture de l’indépendance de la banque centrale, augmentation de la prime de risque sur les marchés, etc. Même Marine Le Pen a avancé ce type d’arguments. Sur l’échiquier politique, c’est aussi divisé que chez les économistes…
En bref, vous l’aurez compris, les deux camps s’affrontent et nous n’avons pas de réponse unique et immuable mais nous aurons tenté de vous aider à y voir plus clair et à vous forger une opinion.