En ce début d’année, nous allons nous intéresser à la dette publique, – un thème récurrent dans le débat politique et économique. On le sait, depuis la crise sanitaire, les taux d’endettement publics sont extrêmement élevés. Ce phénomène a relancé le débat sur les risques associés à un tel niveau d’endettement et a engendré de très grandes divergences d’opinions, se cristallisant autour d’une possible annulation de la dette.
Rappelons que la dette publique sert notamment à financer des services publics (santé, éducation, justice, sécurité…). Nous sommes donc tous concernés, de près ou de loin. En quarante ans, le poids de la dette a été multiplié par six, puisqu’il s’établissait à 20 % du PIB en 1980. « La France vit au-dessus de ses moyens », « La dette est un fardeau pour les générations futures », a-t-on l’habitude d’entendre. Mais la question peut se poser en d’autres termes : la capacité d’un pays à rembourser dépend de sa capacité à se faire financer dans les années futures, c’est-à-dire la possibilité d’emprunter à nouveau. Mais derrière le débat des chiffres, se cachent en fait plusieurs visions de la dette et, par extension, de la société.
Faut-il donc annuler la dette publique ? La question divise les économistes : les uns affirment que cette manœuvre est le meilleur remède pour éviter un retour à l’austérité ; les autres dénoncent une mesure contre-productive.
La solution semble pourtant tellement simple ! Puisque le taux d’endettement de la France pulvérise tous les records – passé de 98,1% du PIB fin 2019 à 113% environ en 2022 −, pourquoi ne pas effacer l’ardoise d’un simple trait de plume ? Cette idée, défendue depuis longtemps par des personnalités politiques de gauche, séduit désormais un grand nombre d’économistes.
Plus de 150 experts européens réputés, dont Thomas Piketty et l’ancien ministre belge Paul Magnette, ont lancé un appel pour l’annulation des dettes publiques détenues par la Banque Centrale Européenne (BCE). Qui représente dans les 30% de la dette publique française. Mais cette proposition radicale est loin de faire l’unanimité. Des économistes, aussi bien libéraux que très à gauche, dénoncent une fausse bonne idée. Et les responsables des institutions financières opposent un non ferme et définitif à cette option. « L’annulation est inenvisageable », a ainsi coupé court Christine Lagarde, la patronne de la BCE, début février 2022.
Nous allons donc ici présenter les arguments qui plaident en faveur et en défaveur d’une annulation de la dette publique. Nous n’aurons pas la prétention de trancher pour l’un ou l’autre camp, là n’est pas notre objectif. Il s’agira d’exposer les grands enjeux qui vous permettront de mieux comprendre les débats et, peut-être, de vous forger une opinion.
Commençons par poser les termes du débat.
Selon François Ecalle, « la dette publique, c’est l’accumulation des déficits publics chaque année. Un déficit public survient lorsque les dépenses publiques (de l’Etat au sens large : ministères, collectivités locales et sécurité sociale) sont supérieures aux recettes publiques (impôts, taxes, cotisation sociales).
Le déficit accroît la dette publique et la France a un déficit public depuis même avant 1981. Depuis le début des années 1970, en fait, nous n’avons jamais réussi à rééquilibrer nos comptes publics, ni même à réduire suffisamment le déficit public pour arrêter l’accumulation de dette. Il est normal que la dette augmente dans les périodes de crise. La France a déjà connu une récession au début des années 90. Puis la crise de 2008-2009 et enfin la crise sanitaire. Il est normal que la dette publique augmente à ces moments-là et c’est nécessaire. En revanche, on devrait arriver à en contrôler l’évolution dans les périodes normales, pourtant ce n’est pas le cas. On réussit tout juste à la stabiliser quand elle ne continue pas à augmenter dans les périodes normales. Voilà pourquoi nous en sommes là aujourd’hui ». Pour Jézabel Couppey-Soubeyran « en période de crise, il faut gérer la situation. On augmente les dépenses publiques, donc on creuse les déficits. On s’endette pour financer ses déficits et donc, en effet, à ce moment-là, le ratio vis-à-vis du PIB se dégrade. »
Lorsque la France a besoin d’emprunter, elle émet des titres de dette sur les marchés financiers. Des investisseurs privés prêtent alors à l’Etat de l’argent en échange de ces titres. En retour, celui-ci s’engage à payer des intérêts annuels et à rembourser la somme prêtée au terme d’une certaine période pouvant aller de quelques mois jusqu’à cinquante ans.
La France est aujourd’hui endettée à hauteur de près de 2 700 milliards d’euros. Cette somme dépasse notre Produit Intérieur Brut annuel (PIB), c’est-à-dire la valeur totale des richesses que nous générons chaque année. Avant la pandémie de Covid-19, la France était parvenue à stabiliser son taux d’endettement à un peu moins de 100% de son PIB.
Mais l’effet combiné des aides étatiques pour faire face à la crise économique et de la baisse d’activité a fait bondir ce taux en 2021. Et il n’est pas impossible qu’en 2023 la dette de la France atteigne les 3000 milliards d’euros dont moins de 900 millions détenue par la BCE.
Dans un prochain article, nous verrons les arguments pour et contre cette annulation…