Nicolaï Kondratiev est un des économistes les plus brillants de la science économique. Dans les années 1920, il écrit une série de publications qui établissent l’existence de cycles longs dans la dynamique de l’économie capitaliste. Ces cycles, d’une durée de 48 à 60 ans (54 ans), se retrouvent ainsi dans le mouvement des prix, du taux d’intérêt, etc…
Dans l’introduction de son article Long Waves in Economic Life (1926), il écrit : « l’idée que les dynamiques de la vie économique dans l’ordre social capitalistique ne sont pas simples et linéaires mais plutôt complexes et au caractère cyclique est aujourd’hui généralement reconnue. La science, cependant, est loin d’avoir clarifié la nature et les types de ces mouvements cycliques et ondulatoires. »
Ces travaux sont dans la lignée des penseurs de son époque. Clément Juglar avait mis en avant dans les années 1860 des cycles d’une durée de 7 à 11 ans dans la dynamique économique, puis Joseph Kitchin avait avancé l’existence de cycles d’une durée de 40 mois (1923-2023 : légende des cycles boursiers de 40 mois – Youtrading FR). La position dans le cycle de Kondratiev (cycle-K) est un sujet de débat chez les économistes, car l’importance de cette question n’est pas négligeable pour les trajectoires économiques et boursières de cette décennie !
Le cycle de Kondratiev : explication aux crises et aux expansions…
Si l’économie évolue sur la base de cycles intermédiaires de 7 à 11 ans, mais aussi de cycles plus courts de 3 à 4 ans, alors il est naturel d’observer des cycles longs de plusieurs décennies. C’est en observant des données économiques riches depuis la fin du XVIIIe siècle que l’économiste Russe Nicolaï Kondratiev met en avant un cycle de 5 à 6 décennies. Mais alors quelles sont les caractéristiques de ce cycle et quand s’est-il manifesté ces derniers siècles ?
Tout d’abord, un cycle long dure entre 48 ans et 60 ans. La durée médiane qui ressort dans les statistiques étant proche de 54 ans.
De plus, le cycle de Nicolaï Kondratiev peut se décomposer en 4 phases respectives (Brian Berry) : (1) des périodes de reprises inflationnistes qui débouchent généralement sur des crises financières ; (2) des crises de stagflation qui se traduisent par des pics inflationnistes puissants et un ralentissement de la croissance ; (3) des périodes de croissance désinflationniste qui se traduisent par l’accélération de la croissance et la baisse ou la stabilisation des prix ; et enfin (4) des périodes de dépressions déflationnistes.
Notre position dans la trajectoire de l’économie
Si les vagues de Nicolaï Kondratiev répondent à des critères relativement clairs, leur positionnement dans le temps est plus délicat, et tous les économistes ne s’accordent pas à ce sujet. Cependant, Nicolaï Kondratiev avait clairement identifié les cycles longs de l’économie mondiale depuis la fin du XVIIIe siècle.
- Premier cycle long : phase de hausse de 1785 jusqu’en 1810-1817, suivi d’une phase de baisse jusqu’en 1844-1851.
- Deuxième cycle long : phase de hausse de 1844-1851 jusqu’en 1870-1875, suivi d’un déclin jusqu’en 1890-1896.
- Troisième cycle long : phase de hausse de 1890-1896 jusqu’en 1914-1920, suivi d’un déclin jusqu’en 1949-1954.
Une divergence émerge chez certains économistes, car certains situent le sommet du troisième cycle vers 1929, alors que Nicolaï Kondratiev situait ce sommet à la sortie de la Première Guerre mondiale. Cependant, les travaux dominants considèrent que la crise de 1929 correspond aux sommets du cycle de Kuznets qui prennent effet 12 à 15 ans avant et après le sommet du cycle de Kondratiev.
En conséquence, le quatrième cycle de Kondratiev, commencé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, aurait atteint son sommet entre 1973 et 1981. Le point culminant de la croissance aux Etats-Unis étant 1978 (+14 % sur un an au Q4 1978). En ajoutant 12 à 15 ans, on retombe sur la crise de 1987 et les crises du début des années 1990. Le point bas du cycle de Kondratiev probable suivant est donc situé théoriquement en 2005 (symétrie entre la récession de 2001 et la récession de 2009).
Dans cette logique, nous nous situons actuellement probablement dans la fin de phase ascendante du cycle de Nicolaï Kondratiev. En théorie, le prochain sommet du cycle de Kondratiev devrait se manifester entre 2026 et 2038 (2033). Il est intéressant de noter, dans ce cas, que la crise de 2020 correspond parfaitement à l’entrée dans la phase (2) décrite plus haut.
De plus, les phases ascendantes du cycle de Kondratiev marquent généralement la saturation dans la diffusion d’une nouvelle technologie. Dans l’ordre, les technologies qui ont accompagné chaque vague de Kondratiev ont été : le textile, l’hydrologique, le charbon, l’électricité, l’automobile et le pétrole, internet. La saturation dans la diffusion d’internet et des technologies de l’information et de la communication est donc un symptôme des phases ascendantes du cycle de Kondratiev.
Les condamnations de Kondratiev
Nicolaï Kondratiev fut fusillé pour ses idées, jugées par les soviétiques comme « une théorie bourgeoise vulgaire des crises et des cycles économiques ». Pour les soviétiques, « le concept théorique des cycles longs est directement opposé aux fondements de la thèse Marxiste concernant l’inévitabilité des crises économiques dans le système capitaliste »[1].
Si Nicolaï Kondratiev fut condamné à mort pour ses observations, sa pierre est parmi les plus honorables de la science économique. La question qui nous divise, près d’un siècle après ses écrits, demeure notre position dans le cycle de Kondratiev. S’il est probable que nous approchons de la dernière phase ascendante, avec des risques de guerres et de révolutions, il est aussi important de garder en tête que certains auteurs situent le dernier sommet en 2000, ce qui nous paraît toutefois moins probable et moins fondé.
[1] Ces extraits de la Grande Encyclopédie Soviétique sont repris dans le livre Long-Wave Rhythms in Economic Development and Political Behavior(1991), page 17, Brian Berry.