Alors que le marché des actions corrige sensiblement depuis le début de l’année, le marché obligataire de la zone euro subit lui aussi de fortes tensions. Les taux en zone euro reviennent ainsi vers leurs niveaux de 2014, c’est-à-dire avant toute politique de Quantitative Easing. Assistons-nous à la fin de l’efficacité des politiques de la planche à billet sans perte de contrôle de l’économie ? Désormais, au phénomène de restriction de liquidité qui permet de sortir des taux négatifs, s’ajoute l’inflation galopante et l’instabilité de l’euro. Dans ce contexte, alors que la BCE commence tout juste à changer son discours, la dégradation du marché obligataire en zone euro s’accélère et pourrait avoir des conséquences à terme sur les finances publiques.
Remontée des taux français.
Alors que la plupart des taux français étaient négatifs mi-2021, plus aucune échéance n’a de taux négatifs mi-2022. Plus important encore, l’écart entre les taux des échéances courtes et les taux des échéances longues a augmenté. Mi-2021, il n’y avait que 0,75 points d’écart entre le taux français à 10 ans et le taux à 2 ans. Désormais, cet écart est de 1,3 points (+75%). Cela illustre le fait que les investisseurs perdent en visibilité à court terme sur les dettes françaises.
Cette inflexion de la courbe des taux est aussi le symbole de la fin de 8 années de politiques monétaires très accommodantes. Désormais, les comptes publics seront plus ou moins contraints à revoir progressivement l’orientation dépensière. Le risque est évidemment celui de voir les Etats en incapacité de se financer sans difficultés. En outre, le risque obligataire en zone euro suppose aussi la survie de l’euro. A ce jour, le taux italien sur les obligations à 10 ans est de 3,75%, contre 1,75% pour l’Allemagne. C’est-à-dire que l’écart de taux entre l’Allemagne et l’Italie est de 2 points, ce qui est significatif.
Obligations : une perte de valeur inquiétante ?
Depuis janvier 2020, l’indice de valeur des obligations tend à montrer que l’obligation française à 10 ans a perdu près de 18% de sa valeur. C’est tout juste 2% à 8% pour les obligations des Etats-Unis. Même le bien réputé bond allemand à 10 ans perd près de 15% de sa valeur depuis janvier 2020. Cette perte de valeur des obligations européennes explique aussi la dévaluation significative de l’euro par rapport au dollar. Depuis janvier 2021, l’euro perd également près de 15% face au dollar.
En France, près de la moitié de la dette est détenue par des étrangers lorsque la Banque centrale détiendrait autour de 26% de la dette française. Les compagnies d’assurances détiendraient quant à elle autour de 16% de la dette française. La maturité moyenne de la dette française se situe autour de 8 à 10 ans pour un taux moyen autour de 1,5 % environ. Cela signifie que les taux actuels du marché mi-2022 sont un seuil charnière pour les finances publiques à long terme. Si la hausse des taux se poursuit, cela augmenterait rapidement le taux moyen payé par la France d’ici 4 à 5 ans, et provoquerait des tensions structurelles supplémentaires.
A cette mauvaise structuration de la dette publique, s’ajoute la mauvaise gestion des comptes publics. Sur le site de l’Agence France Trésor, l’institution en charge de la dette publique écrit « qu’en 2022, le besoin prévisionnel de financement de l’État atteindra 298,9 milliards d’euros, du fait principalement d’un déficit budgétaire de 155,1 milliards d’euros et de 144,4 milliards d’euros d’amortissement de dette à moyen et long terme venant à échéance en 2022 ». 10% des obligations émises devraient par ailleurs être indexées sur l’inflation.
Jusqu’où pourraient monter les taux ?
Le niveau des taux actuel est sans précédent depuis au moins 8 ans après une tendance fortement baissière. La brutalité de la remontée des taux sur le marché laisse présager de possibles accélérations. Historiquement, il ne serait alors pas impossible de revoir des taux directeurs en Europe à 2% ou 2,5%, cible déjà fixée par la FED aux Etats-Unis. Le graphique ci-dessous montre la courbe des taux directeurs européens en rouge et le taux français à 10 ans. On remarque que chaque maximum des taux directeurs a été atteint lorsque il était autour du niveau du taux français à 10 ans.
Ce scénario ne paraît pas impossible alors que des économistes comme Patrick Artus alertent sur le risque d’une inflation à deux chiffres en zone euro (lire). Ce contexte est un changement complet de paradigme et pourrait décider de l’avenir de la zone euro alors que les risques d’instabilité de l’euro sont multiples.