Alors que l’inflation fait rage en Europe et aux Etats-Unis, avec respectivement 7,4% et 8,5% d’inflation sur un an, les taux d’intérêt subissent des pressions huissières. Le taux des obligations américaines à 10 ans revient désormais sur ses niveaux de 2018 pour se rapprocher des 3%. Citons aussi le taux interbancaire en zone euro Euribor à 1 an, négatif depuis 2016, qui est désormais repassé en territoire négatif avec une grade rapidité. Dans ce contexte, on s’intéresse à la fois aux indicateurs capables de nous renseigner sur le risque de récession et le risque d’inflation.
Les sanctions contre la Russie : un échec ?!
Avant toute chose, il est intéressant de comprendre la position macroéconomique de la zone euro face à la principale menace pour l’économie aujourd’hui : les sanctions contre la Russie.
Force est de reconnaître que la position excédentaire de la Russie, tant sur le plan budgétaire que commercial, était préjudiciable à l’Europe. En 2021, le budget public de la Russie était en excédent de 0,72% au PIB lorsque l’excédent commercial affichait un nouveau record à 163Mds$ (11% du PIB). Rappelons que plus de 40% des exportations de la Russie sont du gaz ou du pétrole. Désormais, l’Europe se retrouve avec un taux de change euro/rouble sous les niveaux qui ont précédé les sanctions ! Un rouble valait 0,011 euro avant la guerre, contre 0,013 aujourd’hui. Le rouble s’est apprécié (chute de 10% de l’euro). La faiblesse de l’euro est un risque supplémentaire pour la zone euro, et en particulier pour les pays exportateurs qui voient leur risque de ralentissement amplifié (pays du Nord).
Enfin, nous devons ici rappeler les sources de l’inflation. Au-delà des considérations économiques de long terme, selon lesquelles il n’existe véritablement aucune cause directe à l’inflation, nous devons rappeler que l’inflation n’est pas majoritairement le fait de la Russie. Pour l’heure, l’inflation hors matières premières et énergies (inflation sous-jacente) est de 3,2% en zone euro. Cela signifie que la pénurie de matières premières et d’énergies explique 42% de l’inflation actuelle en zone euro. Néanmoins, l’inflation des matières premières était déjà présente avant la crise (inflation de 5,9% en février et 2,9% pour l’inflation sous-jacente).
La crise guerre en Ukraine et ses conséquences expliquent seulement 18% de toute l’inflation actuelle en zone euro !
*Détail du calcul = [(inflation mars – inflation février)-(inflation sous-jacente mars – inflation sous-jacente février)]/(inflation courante)=[(7,5-5,9)-(3,2-2,9)/(7,5)]
Existe-t-il un risque de tension sur le marché interbancaire ?
Le marché interbancaire permet aux banques d’assurer les opérations courantes de financement. Les crises bancaires et financières sont ainsi souvent liées à des crises interbancaires. Souvent, un manque accru de liquidités sur le marché interbancaire peut conduire à des crises de panique sur les taux, et finalement sur la stabilité des banques et de l’économie mondiale.
En théorie, le risque d’illiquidité est toujours limité par le taux planché de la BCE qui est de 0% à ce jour. Néanmoins, le marché n’est pas à l’abri de mouvements de panique de court terme. Ainsi, le taux Euribor à un an, qui est le taux du marché pratiqué entre les banques, est revenu en territoire positif à 0,1%, sans précédent depuis 2016 ! Si une forte inflation venait à se maintenir dans le second semestre 2022, le risque de ralentissement du marché du crédit pourrait devenir sensiblement plus dangereux.
Aux Etats-Unis, la hausse des taux est plus prononcée encore, ce qui est par ailleurs favorable au dollar. Le taux américain du bond à 10 ans est passé de 1,3% en août 2021 à 2,9% aujourd’hui. Néanmoins, cela n’empêche pas au taux réel de rester sur ses plus bas… Depuis les années 1970 ! Le taux réel directeur américain dépasse -8% ! L’appauvrissement des épargnants est le terrible corolaire de la faible flexibilité budgétaire des Etats. Dès 2019, j’avais montré que la probabilité de voir un pic sur les taux au printemps 2022 était élevée.
Existe-t-il un risque récessif ?
Si l’on regarde à l’Indice des Directeurs d’Achat (PMI), qui mesure l’activité des Directeurs d’Achat dans l’industrie notamment, est au plus bas depuis janvier 2019 (55). Pour l’heure, cet indicateur reste au-dessus de sa ligne à 50, ce qui signifie que l’activité reste soutenue. Néanmoins, plusieurs autres signaux vont dans le sens d’une probabilité de ralentissement de l’activité.
Ainsi, l’écart entre le taux à 10 ans et le taux à 2 ans, qui montre notamment l’appétit pour les investisseurs pour le long terme (l’absence d’écart entre le taux long et le taux court a toujours ou presque précédé une crise), est un plus bas depuis 2019 pour les Etats-Unis. Cette inflation montre bien que la forte inflation réduit fortement la prédisposition des investisseurs à prêter à court terme.
La BCE projette encore une croissance de 3,7% en 2022 en zone euro et 1,8% en 2023. La croissance se maintiendrait essentiellement du fait de la fin du rattrapage économique suite à la pandémie. En cela, le risque récessif est amorti par le phénomène de rattrapage de la croissance perdue en 2020 et 2021. Mais l’accélération du conflit, le défaillance du marché du crédit, ou la trop forte inflation qui peut réduire la demande globale, sont autant de menaces à l’activité. Goldman Sachs estime que le risque récessif est d’environ 35% d’ici aux deux prochaines années.