Aussi lointain qu’il y paraisse, l’époque la plus intéressante pour comparer notre situation monétaire actuelle est sans aucun doute la situation de la Grande Dépression. Entre le début des années 1930, jusqu’aux années 1950, pour financer de fortes dépenses publiques, les taux directeurs sont restés entre 1% et1,5% pendant près de deux décennies (1931-1954). Cette situation, très inspirante pour nos économies monétairement contraintes, nous renseigne également sur des processus globaux qui conduisent à la surperformance ou au déclin de grandes classes d’actifs. La question de l’inversion à long terme de la courbe des taux, bien que prématurée, est pourtant centrale chez les investisseurs.
Taux effectif de la réserve Fédérale et taux long.
Les taux ont un rôle considérable sur les marchés. D’une part, ils déterminent la quantité de crédit qui pourra permettre aux entreprises de fonctionner, aux fonds et aux banques de prêter. D’autre part, le taux détermine aussi les rendements obligataires (dettes publiques, entreprises, etc…). On rappellera en outre que le marché obligataire est le plus gros marché en termes de valorisation après l’immobilier.
Il y a une forte corrélation entre le taux long et les taux directeurs. En réalité, on s’aperçoit que les taux longs correspondent supérieurement à la moyenne mobile des taux directeurs. Cette simple approche permet d’insister sur plusieurs observations. Tout d’abord, comme le montre le graphique ci-dessous, à chaque fois que les taux directeurs sont passés au-dessus des taux à 30 ans, une crise s’est manifestée (1993, 2000, 2009, 2019).
En effet, on sait en général que la chute des taux directeurs est un signal de dépression de l’économie. De plus, on constate que les taux longs sont supérieurement dépendants à la moyenne des taux directeurs. Ainsi, un passage des taux directeurs au-dessus des taux longs signifie que les investisseurs ont une vision déprimée de l’économie à long terme et anticipent une chute de l’activité. A l’inverse, quand l’écart entre les taux directeurs et les taux à 30 ans est maximal, les investisseurs ont une vision optimiste de l’économie ; et le risque de récession est minimal. C’est précisément la période dans laquelle nous nous situons. Enfin, en regardant à la moyenne des taux à 30 ans, un taux normal pour les prochaines années se situe autour de 2,4% pour les Etats-Unis.
Le problème actuel : que le risque de récession à court terme soit aussi grand que le risque de récession à long terme.
Nous nous basons ici sur le même graphique précédent en ajoutant l’écart entre le taux court (2 ans) et le taux long (10 ans), mesuré sur l’axe de droite. La différence entre les taux courts et les taux longs permet de mesurer le risque économique. Des agents économiques confiants vont plutôt préférer les rendements à long terme car la visibilité est plus grande. Ainsi, l’écart entre les taux longs et les taux courts (10y-2y) est un excellent indicateur du risque de récession ou de dépression de l’activité dans son ensemble.
De plus, on notera que l’évolution moyenne du 10y-2y est croissante, tandis que l’évolution moyenne longue des taux directeurs est décroissante. En fait, notre propos n’est pas plus complexe que de constater que le risque économique est inverse à la courbe des taux directeurs. Quand l’écart entre le taux à 10 ans et le taux à 2 ans est maximal, les taux directeurs sont minimums.
Au-delà de ces observations, on notera aujourd’hui un processus différent. Nous avons deux observations parallèles :
- La première observation est que l’écart entre le taux long et le taux court est encore relativement faible, ce qui signifie qu’il existe un risque dépressif relatif à court terme.
- La deuxième observation, c’est que la FED relever les taux d’ici à 2023, ce qui veut dire une chute de l’écart taux longs/taux courts.
En conséquence, nous avons à la fois cette observation d’un risque dépressif modéré pour 2022 d’une part ; et l’observation d’un risque récessif plus proche que la normale à long terme. Aujourd’hui, avec un écart des taux 10y-2y atour de sa moyenne, le risque de prochaine récession se situe statistiquement autour de 6 à 7 ans ; c’est entre 3 et 4 ans pour le risque statistique mesuré à partir du chômage.
Vers l’inflexion durable des taux ?
Nous en venons donc à l’observation qu’une baisse des taux directeurs n’est désormais plus envisageable sous 0%. Nous constatons par ailleurs que la courbe des taux directeurs tend à s’infléchir depuis les années 2000. Cela signifie plus concrètement que nous préparons structurellement la prochaine grande période monétaire du deuxième tiers de ce siècle.
En fait, en modélisant simplement la courbe des taux directeurs depuis les années 1980, on s’aperçoit que les prémisses d’un grand changement de doctrine monétaire pourrait apparaître dans la deuxième moitié de cette décennie. Cela concorde avec l’idée que les grandes périodes d’expansion du bilan des banques centrales n’ont jamais vraiment excédé 27 à 28 ans sur les 300 dernières années.